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pitres du Livre des principes. Clairaut s’est pénétré de l’œuvre admirable de Newton, et de ce commerce intime avec un génie plus grand que le sien, mais de même famille, est sorti un géomètre tout nouveau. Les premiers travaux de Clairaut avaient donné de grandes espérances; le Traité sur la figure de la terre les dépasse, et de bien loin. » Clairaut devait être en effet le premier à reprendre, après cinquante ans, l’œuvre commencée par Newton. Le grand géomètre anglais avait tracé les principales lignes du système du monde; mais il n’avait fait qu’une sublime ébauche, qui demandait à être précisée et complétée. Parmi les travaux de premier ordre qui vinrent ainsi s’ajouter à l’œuvre du maître, il faut citer le livre de Clairaut sur la théorie de la lune. La lune, attirée par la terre et par le soleil, suit en somme une marche compliquée dans l’espace, et Clairaut en détermine habilement les détails. C’est ce qu’on appelle le problème des trois corps; il constitue une des plus hautes difficultés de l’astronomie mathématique. Dans un sujet que l’analyse ne peut traiter d’une façon absolument rigoureuse, les calculs de Clairaut, immenses tout en étant ingénieusement abrégés, se rapprochaient de plus en plus de la vérité par une série d’approximations successives. Cette méthode excita l’étonnement des contemporains, les vieux géomètres, habitués à la ligueur des anciens procédés, crièrent au scandale; elle est restée cependant, et elle a donné les fruits les plus heureux entre les mains des successeurs de Clairaut.

D’Alembert, lui aussi, est né géomètre. Enfant abandonné, recueilli par une pauvre femme, il avait besoin de songer à sa fortune, et il craignait avec quelque raison que l’étude pure des mathématiques ne fût un mauvais moyen de réussir dans le monde. Résistant à sa vocation, il prit le parti d’étudier la médecine. Le voilà donc qui se sépare, comme de compagnons dangereux, de tous ses livres de géométrie et qui va les déposer chez un de ses amis; mais bientôt les livres reprennent un à un le chemin de son logement, et d’AIembert, renonçant aux études qu’il s’était imposées, s’abandonne sans contrainte à son génie naturel. A ses premiers essais, on reconnut un maître, et l’Académie des Sciences le reçut à l’âge de vingt-trois ans. L’œuvre principale de d’Alembert comme géomètre est son Traité de mécanique, qui a entièrement renouvelé la science du mouvement; mais son esprit, aussi étendu que solide, a suffi à plus d’une tâche. L’ami de Voltaire et de Diderot, le rédacteur du discours préliminaire de l’Encyclopédie, est devenu une des grandes figures de son siècle et une des gloires des lettres françaises. Peu d’hommes inspirent par leur caractère autant d’estime et de sympathie que d’Alembert.. On chercherait en vain mie vie plus simple et plus noble. Sensible à tous les grands intérêts de l’humanité, ému de tous les souffles qui peuvent faire vibrer une âme honnête, il semble pla-