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II.

L’historiographe de l’Académie des Sciences, c’est M. Bertrand que nous voulons dire, met ainsi en relief, à travers les travaux de nos savans, la physionomie propre d’un grand nombre d’académiciens. Il trace toute une série de portraits rapidement enlevés en quelques traits. C’est comme une galerie de médaillons finement touchés. On y trouve, à côté des hommes célèbres dont la gloire a été consacrée par la postérité, un certain nombre de figures secondaires, oubliées maintenant, mais qui n’ont pas laissé de remplir dans leur temps des rôles de quelque importance.

Voici d’abord la série des secrétaires perpétuels de la compagnie. Le premier fut Duhamel, un modeste et savant abbé que Colbert avait choisi à cause de sa belle latinité. Duhamel avait résumé dans un livre un instant célèbre, Philosophia vetus et nova, les opinions philosophiques de toutes les écoles. Sans se piquer d’invention, il savait exposer les idées d’autrui, et sa critique témoigne d’un jugement sûr. Duhamel eut d’ailleurs la bonne fortune de choisir pour aide et de léguer à l’académie, pour second secrétaire perpétuel, l’ingénieux et brillant auteur de la Pluralité des mondes. Fontenelle ne fut jamais très savant; il n’entra jamais bien profondément dans les diverses théories dont sa charge l’amenait à parler; mais il avait une merveilleuse aptitude à saisir la surface des choses, il savait prendre dans chaque question ce qu’elle avait de brillant, et la présenter au public sous l’angle où elle rayonnait le mieux. Sceptique d’ailleurs et ne se laissant aller entièrement à aucune opinion, il se jouait également avec tous les systèmes et les présentait tous avec une aimable désinvolture. « Il ne faut donner, disait-il, qu’une moitié de son esprit aux choses de cette espèce, et en tenir une autre moitié libre où le contraire puisse être admis. » Deux fois par an, l’Académie des Sciences entendait solennellement l’éloge de ceux de ses membres qui étaient morts depuis la dernière réunion publique. Les éloges prononcés par Fontenelle dans ces occasions ont acquis une juste célébrité. Un tour noble et aisé, un choix heureux de détails biographiques, une analyse ingénieuse des travaux et des découvertes de chacun, font de ces petits morceaux autant de chefs-d’œuvre qui sont restés dans notre littérature et qu’on n’a cessé d’imiter. Fontenelle ne mourut n’en 1757, âgé de près de cent ans; mais dès l’année 1739 il fut remplacé comme secrétaire perpétuel par Dortous de Mairan.

Mairan est un exemple de ces célébrités d’un jour qui s’évanouissent devant la postérité; peu de savans ont eu une carrière plus facile et ont joui de plus d’estime parmi leurs contemporains. L’Aca-