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pathique à leurs succès, il resta toujours le même au fond, pour les tories irréconciliable, pour les whigs dédaigneux et défiant.


IV.

Dans le portrait d’Hazlitt que nous venons d’esquisser, nous avons suivi les documens dont on doit la publication à son petit-fils ; nous avons emprunté à lui-même les principales lignes qui composent sa figure. Toutefois on serait loin de posséder l’idée d’Hazlitt tout entier, si l’on ne prenait pas soin de dégager de son œuvre ce qui en fait le critique d’une époque spéciale de la littérature anglaise, et si à côté de sa doctrine littéraire on n’indiquait pas ses titres comme écrivain en matière d’art. C’est de 1822 à 1826 qu’il a donné ses meilleurs essais sur la littérature contemporaine. On les trouve dans le Table Talk, dans le Plain Speaker, et surtout dans le Spirit of the age, l’esprit du siècle. À ceux qui veulent surtout connaître l’homme, les deux premiers recueils ont le droit de plaire ; à ceux qui veulent aussi étudier le temps, le dernier se recommande plus que tout autre ouvrage de l’auteur. C’est un aperçu rapide et plein de couleur sur les hommes d’état, les poètes, les philosophes d’outre-Manche à l’époque des grands combats entre les réformistes et l’aristocratie.

Hazlitt, à notre avis, est l’écrivain qui représente le mieux le mouvement littéraire anglais d’il y a trente ou quarante ans. Ses devanciers avaient fait de la critique française, ceux du XVIIe siècle en rapportant les œuvres aux règles traditionnelles, à la manière de Rapin et de Le Bossu, ceux du XVIIIe en rédigeant des jugemens discrets avec de petites citations à l’appui, comme Johnson. Désormais les livres étaient trop nombreux pour qu’il fût possible aux lecteurs de contrôler par eux-mêmes les arrêts portés par cette magistrature littéraire, et le besoin d’en parler dans les conversations trop général pour qu’on s’en tînt aux modestes dissertations dont on s’était jusque-là contenté. Non-seulement les critiques demeuraient investis de leur fonction de dégustateurs en titre du goût public : on leur demandait dans le triage des écrits de signaler ceux qu’il fallait absolument lire, on exigeait sur le reste des raisonnemens tout faits pour s’en entretenir sans les avoir lus. De là cette dialectique abondante qui étonne un peu les lecteurs de Jeffrey et de Macaulay ; ces écrivains étaient comme chargés de pourvoir les salons et les clubs d’élémens de discussion. C’est ainsi que peu à peu les critiques se substituaient aux auteurs ; ils étaient maintenant mieux que des essayeurs assermentés, et devenaient des intermédiaires entre le public et la littérature. Il y avait sur chaque ouvrage la thèse des whigs, qui prirent l’initiative, celle des tories,