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Et M. Michelet le fait ainsi qu’il le dit. Par la porte dérobée, avec cette même clé qui naguère lui a ouvert la chambre de Philippe V à l’Escurial, nous nous glissons à sa suite dans l’alcôve où rêve la « dormeuse de Michel-Ange ; » nous y découvrons ce que le maître même, le mari, serait incapable d’y découvrir ; nous pénétrons, jamais le mot n’a été plus vrai, dans les entrailles mêmes du sujet, et Dieu sait, mais pas mieux que nous, tout ce qui s’y passe ; nous veillons autour de cette femme enceinte avec un soin si persévérant, avec une telle ardeur de dévoûment que, lorsque la délivrance arrive pour la mère, il semble qu’elle arrive aussi pour nous.

Nous l’avons enfin ce beau fils, et nous le pouvons mettre au berceau. Ici commence ou du moins devrait commencer l’éducation dans la famille ; mais la physiologie et le mysticisme de M. Michelet n’ont pas dit leur dernier mot. Et cependant « l’unité fatalement physique des parens, l’assimilation, l’absorption des deux époux l’un dans l’autre, » ce sont là, si j’ai bonne mémoire, des sujets traités à fond dans l’Amour et dans la Femme. On pouvait les croire épuisés. Le « paradis maternel » gardait-il donc quelque recoin qui nous fût encore inconnu ? J’ai beau en sonder tous les replis, j’y retrouve, sans un trait de plus ni de moins, ce même petit monde extra-terrestre que l’auteur m’avait dépeint ailleurs en détail… J’apprendrai peut-être si M. Michelet préfère pour le jeune enfant l’éducation de la famille ou l’éducation commune dans les asiles et les écoles. Vaine espérance ! l’auteur ne se prononce pas sur ce point. Il nous énumère toutes les influences physiques, morales, immorales même, qui, au foyer paternel, peuvent énerver l’enfant ; il nous décrit, avec un mélange d’anecdotes diverses, tous les dangers de cette existence à nid clos, et il cite même à ce sujet M. Dupanloup ; puis, au moment où la conclusion semble effleurer le bord de sa plume, il quitte tout à coup l’enfant pour revenir à l’épouse-mère, et nous donner la physiologie de la femme de trente ans.

Résignons-nous donc. — Mais cette mère, dont le foyer, un moment ébranlé par la lassitude ou l’indifférence de son mari, est raffermi par l’enfant, comment M. Michelet la conçoit-il ? Où l’écrivain prend-t-il son type ? Est-ce dans le monde des travailleurs et des illettrés ? est-ce dans les régions sociales supérieures ? Vous seriez fort embarrassé de le dire, tant ce type présente de caractères contradictoires. En tout cas, le moraliste veut à la mère, pour faire son héros, une instruction supérieure : « savoir trop pour savoir assez, » voilà sa devise ; mais, à de rares exceptions près, les femmes, on ne l’ignore pas, reçoivent une éducation si insuffisante et si fausse qu’il n’y a point à leur demander ni aucune conception générale et large ni surtout le sens des idées sociales. Quant au père, dit M. Michelet, il est pour l’enfant, mais seulement dans les classes pauvres et laborieuses, une révélation de justice. « Le pauvre tout d’abord naît homme, ayant constamment sous les yeux la sérieuse