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anarchie, parce que ceux qui se trouveraient ainsi exposés à une incessante prise à partie auraient apparemment le droit, au nom même de leur sécurité, de discuter les ordres qu’ils recevraient, de ne les exécuter que dans la mesure où ils le jugeraient bon. La vraie solution n’est point évidemment dans cette mise en présence des fonctionnaires et du public, elle est tout simplement dans l’existence d’un gouvernement répondant sans cesse de ce qu’il fait, de ce qu’il prescrit ou de ce qu’il tolère. Qu’on prenne un autre exemple, les candidatures officielles. Pourquoi ces candidatures se sont-elles fait une si mauvaise réputation ? Parce qu’elles étaient manifestement un acte de prépotence abusive, parce qu’elles faisaient des manifestations du suffrage universel le contreseing des volontés administratives. C’était le monde renversé. On supprimera les candidatures officielles, ou plutôt elles disparaîtront nécessairement d’elles-mêmes ; on ne fera pas qu’un gouvernement libre, sensé, né du mouvement de l’opinion, reste absolument indifférent devant la lutte électorale, qu’il ne puisse avoir ses préférences dans la lutte, avouer ses candidats, les soutenir de son autorité morale. Et pour aller droit à un fait tout actuel, cette vérification de pouvoirs qui se poursuit aujourd’hui si confusément, qui suscite d’inutiles orages, n’aurait pas été la même, si le régime nouveau eût été pleinement et ostensiblement en action. On eût abandonné résolument quelques-unes des élections les plus douteuses, et on se serait hâté d’en finir avec les autres pour passer aux affaires sérieuses. La première condition, c’est donc l’établissement définitif d’un gouvernement libre, et ce gouvernement ne peut avoir tout son caractère que par un ministère nouveau né de circonstances nouvelles.

C’est la question ministérielle qui se pose invinciblement ; mais pourquoi, dira-t-on, le ministère du 17 juillet qui a présidé à l’élaboration du sénatus-consulte réformateur, qui a fait l’amnistie du 15 août, qui depuis trois mois a laissé à la presse, aux réunions publiques, une liberté sans limites, pourquoi ce ministère, qui vient de renouveler sa profession de foi libérale, ne resterait-il pas et ne suffirait-il pas à tout ? La raison est bien simple, et elle est d’autant plus forte qu’elle est indépendante de la valeur des hommes. L’impossibilité du ministère actuel tient en réalité à toute une situation, et cela est si vrai que le succès de tribune obtenu l’autre jour par M. de Forcade à propos des élections de la Gironde a été encore plus une victoire personnelle qu’une victoire de cabinet. On est fort à l’aise après ce remarquable discours avec M. le ministre de l’intérieur, qui a fait ce jour-là acte d’homme politique, qui s’est montré à la hauteur de toutes les situations, — et le membre de l’opposition qui par une provocation directe l’a soulevé de son banc pour l’appeler à la tribune lui a rendu sans le vouloir le service le plus signalé. Oui, sans doute, M. de Forcade La Roquette s’est mis personnellement au premier rang, et son discours a été beaucoup moins la défense d’une