Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force éternelle et universelle, accompagné tout au plus d’esprits qui plus tard donneront naissance aux démons et aux anges, mais qui tiennent fort peu de place dans l’histoire des premiers développemens du monothéisme[1]. Rappelons enfin, ce qui s’explique de soi-même, que les Sémites sédentaires, parvenus à un degré remarquable de civilisation matérielle, à Ninive, à Babylone, en Syrie, à Tyr, subissant peut-être l’influence d’une race établie avant eux dans les mêmes régions, et certainement celle des miasmes corrupteurs particuliers aux grandes agglomérations humaines, s’abandonnèrent plus facilement à l’idolâtrie et aux immoralités religieuses favorisées par leur mythologie que les Sémites nomades ou condamnés par la pauvreté du sol à une vie des plus simples. Le culte chez ces derniers resta donc plus austère, moins compliqué, moins idolâtre, non précisément par principe, mais par force majeure.

Telle est la souche primitive de laquelle surgissent des rejetons accusant une individualité toujours plus marquée, et parmi eux le peuple d’Israël. L’histoire patriarcale de ce peuple est un singulier mélange de traits de mœurs d’une simplicité, d’un naturel qui ravit, de mythes dont les écrivains monothéistes ont remplacé le sens religieux par une sorte de traduction prosaïque analogue au traitement infligé par Évhémère aux légendes grecques, de données fournies par de vieux chants populaires se rattachant sans doute eux-mêmes à des traditions plus anciennes encore. Il est bien difficile, sinon impossible, d’en extraire une histoire proprement dite. Tantôt les personnages agissent et parlent avec un cachet de réalité si prononcé qu’on serait tenté de les prendre pour des hommes et des femmes tels que nous ; tantôt les détails de leur vie, les actions qu’on leur prête, les invraisemblances dont leur existence est comme pétrie, les relèguent dans la catégorie de ces figures indécises qui planent sur toutes les origines nationales, et ne représentent que de vagues réminiscences ou des êtres collectifs résumés dans un nom propre. Il est toutefois un fait évident que l’on peut vérifier tout le long des récits de l’époque patriarcale, c’est la tendance des narrateurs à résumer symboliquement dans un incident de la vie de famille des patriarches les rapports géographiques et politiques des peuples voisins d’Israël et d’Israël lui-même, tels que nous

  1. Il se pourrait toutefois que, dans une antiquité plus reculée encore que celle dont nous pouvons étudier le caractère d’après des documens sûrs, ce rôle en quelque sorte muet des êtres divins inférieurs eût été plus actif. Les débris de mythologie qui se rencontrent dans les premiers chapitres de la Genèse, particulièrement l’idée que des héros, des géans, des hommes « de grand renom, » sont provenus de l’alliance des fils de Dieu avec les filles des hommes, appuient fortement cette supposition.