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moyen de nous assurer de la fidélité de cette image, ni même de la réalité de l’objet qu’elle représente. Celui qui n’aurait entre les mains qu’un tableau représentant la figure d’un homme ne saurait pas si cette figure ressemble à l’original, ni même s’il y a un original. Parvient-on à prouver au contraire qu’il n’y a point de telles images, que l’objet de notre perception est le corps lui-même et non la représentation du corps, on aura coupé court par là même à toute l’argumentation sceptique. Les Écossais se sont donc appliqués avec un grand soin à réfuter la théorie représentative, et à établir la perception directe et sans intermédiaire des objets matériels. Cette perception une fois établie, la réalité des corps ne faisait plus de doute, car elle était donnée immédiatement aussi bien que le moi lui-même et au même titre dans un acte premier et indivisible d’appréhension immédiate. On ne pouvait pas plus nier la réalité que la perception elle-même, et la philosophie se trouvait sur ce point entièrement d’accord avec le sens commun.

Nul philosophe écossais n’a soutenu plus énergiquement qu’Hamilton la doctrine de la perception directe. Il y est aussi fidèle, plus fidèle que Reid lui-même. Il distingue je ne sais combien de manières d’entendre la théorie représentative, et il les déclare toutes aussi fausses les unes que les autres ; rien de plus intéressant que son article Reid-Brown pour apprendre de combien de manières on peut se tromper, selon lui, sur la question de la perception externe. Il admettait donc comme une vérité évidente que « le fait primitif de conscience donne une dualité primitive, une connaissance du moi en opposition et en rapport avec le non-moi… Le moi et le non-moi sont donnés dans une synthèse originelle ;… nous avons la conscience du moi et du non-moi dans un acte indivisible. » C’est donc directement, immédiatement, primitivement, que le non-moi, c’est-à-dire le corps, nous est donné dans un acte de conscience. Il n’y a là nul raisonnement, nulle induction, nul acte de la raison discursive. Tout est intuitif : c’est un acte premier de perception. De là la croyance irrésistible de tous les hommes à la réalité des choses extérieures, croyance qui ne peut être ni démentie, ni démontrée.

M. Stuart Mill au contraire pense que la croyance au monde extérieur n’est pas un fait primitif, que c’est, comme il s’exprime, une inférence, c’est-à-dire une induction, une conclusion précédée d’expérience : c’est un fait qui s’explique, comme tous les autres, par l’association des sensations. Le non-moi n’est pas une donnée implicitement contenue avec le moi dans une synthèse originelle ; c’est une véritable acquisition de l’éducation et de l’expérience. La croyance naturelle et universelle des hommes n’est qu’un acte d’habitude que l’analyse peut ramener à ses élémens. Suivant M. Mill, Hamilton n’est nullement autorisé à soutenir la doctrine de la