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poussa aux excès de vie, à la débauche, à l’orgie, tandis que celui de Moloch, plus austère, plus sombre, inclina du côté de la cruauté. On plaisait à Baal en s’abandonnant à l’instinct brutal de la génération, on apaisait la colère de Moloch par d’affreux sacrifices. La même opposition de caractère se révèle dans les deux déesses Aschéra, nommée aussi Mylitta, et Astarté ou Astoreth. Astarté, la cornue, est une lune chaste et sévère que les Grecs assimilèrent à Junon ou bien à Vénus Uranie. Quant à Aschéra ou Mylitta, c’est aussi la Baaltis de Byblos, la déesse syrienne d’Hiérapolis, dont les prêtresses, les kédeschas ou recluses, se prostituaient aux adorateurs venus pour rendre hommage à la patronne de la génération. Des désordres plus infâmes encore s’associaient à ce culte profondément immoral, qui dépassait en délire sensuel celui de Vénus Pandémos, et qui aurait pu faire soupçonner que le feu du ciel n’avait pas détruit tous les habitans de Sodome et de Gomorrhe. Ajoutons pourtant que ces différences entre les dieux et les déesses du sémitisme ne sont que relatives. Baal et Moloch souvent se confondent. En vertu de ce caractère abstrait que nous avons indiqué et qui ramène toutes ces divinités à l’idée de force, les dieux sémitiques passent aisément l’un dans l’autre. Rien qui ressemble chez eux à l’individualité fortement accusée des dieux grecs. C’est pour la même raison que le soleil et la lune sont remplacés parfois par une étoile très brillante, comme Sirius, ou paraissant plus élevée que les autres, comme Saturne, la lune par la planète Vénus ou simplement par la terre. On trouverait probablement dans la même tendance l’explication de ces cultes bizarres où, comme par un pressentiment grossier de l’unité divine qui absorbe toutes les différences, les dieux étaient androgynes, où les prêtres s’habillaient en femmes, les prêtresses en hommes, et dont la mythologie grecque, toujours complaisante, a enregistré le vague souvenir en racontant les déguisemens amoureux du robuste Hercule chez la trop séduisante Omphale.

Il est donc certain que la mythologie sémitique possède un caractère à part, et que ce caractère, si nous oublions un instant les immoralités qui la souillent, permettra par la suite au monothéisme de se greffer plus facilement qu’ailleurs sur la disposition religieuse originelle des peuples de ce nom. Sa pauvreté, sa sécheresse, s’y prêtent elles-mêmes. On n’y trouve rien qui rappelle l’exubérance de l’imagination religieuse dans l’Inde ou en Égypte, ni l’incroyable foison de contes gracieux dont le polythéisme grec est le père, ni même la poésie mélancolique ou rêveuse, particulière aux rustiques divinités de la vieille Gaule et de la Germanie. C’est toujours le même thème, se répétant à satiété, d’un couple divin résumant la