Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crire rapidement. D’abord inférieure à la puissance de consommation du pays, elle a eu son-âge d’or, bientôt écoulé ; puis, la production marchant plus vite que la consommation, elle a épuisé tous les expédiens pour abaisser ses prix de revient, et elle a fini par se trouver acculée dans une véritable impasse. N’ayant pas de supérieure pour la perfection du travail, elle ne produisait à peu près rien qui ne fût produit ailleurs à plus bas prix. Telle était déjà sa situation il y a environ trente ans, et tous ses efforts sont demeurés impuissans pour en sortir. Les adversaires et les partisans éclairés du régime protecteur se trouvaient donc, en fin de compte, amenés à la même conclusion. Comment se fait-il qu’on ait discuté vingt ans sans parvenir à s’entendre ? Comment se fait-il qu’il ait fallu une espèce de coup d’état pour opérer la réforme douanière ? Nous touchons ici au côté brûlant de la question : tâchons de le traiter avec modération afin de ne pas raviver des débats irritans.

On oublie vite en France, et peu de personnes sans doute se rappellent encore les origines de la réforme des tarifs. Le rôle brillant de M. Cobden dans les négociations préliminaires du traité de commerce, son dévoûment désintéressé à la cause de la liberté commerciale, ses fréquens voyages à Paris, sa mort prématurée et si regrettable, ont attiré l’attention sur les derniers temps, et rejeté dans l’ombre la période antérieure. C’est pourtant la plus instructive. L’Angleterre ne se pique pas de chevalerie. Ses actes, soit politiques, soit économiques, sont avant tout affaires d’intérêt. Ce n’est pas elle qui ferait la guerre pour une idée ou qui se ruinerait pour l’honneur des principes, et on ne peut l’en blâmer ; mais, lorsque les principes sont devenus sans danger pour ses intérêts, elle passe de l’indifférence au dévoûment, et par une heureuse fortune elle trouve juste à point des hommes convaincus, de véritables apôtres, prêts à consacrer leur vie au triomphe de ces principes. Cela ne veut nullement dire que ces reviremens soient le résultat d’un calcul égoïste. Non, c’est tout simplement l’effet de la tournure de l’esprit national et de l’ardeur d’un patriotisme exclusif. Quelle qu’en soit d’ailleurs l’explication, le fait est incontestable, et il s’est produit deux fois en cinquante ans.

À la fin du siècle dernier, l’Angleterre perd ses colonies de l’Amérique du Nord et consolide les bases de son immense empire indien ; elle ouvre aussitôt les yeux sur les horreurs de l’esclavage, et Wilberforce lève le drapeau de l’émancipation, autour duquel la nation tout entière en tarde pas à se rallier avec enthousiasme. De même pour la liberté commerciale. Aucun peuple n’a pratiqué le régime protecteur avec autant de rigueur et de persistance que le peuple anglais. Grâce à ce système, son industrie est devenue la plus puissante du monde ; elle a pu défier toutes les concurrences