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Il est à remarquer que le succès de ces expédiens, qui sont la condamnation la plus formelle du régime protecteur, marque le moment précis où ce système doit être abandonné. En effet, la prime de sortie est ou supérieure au montant des droits payés, ou égale ou inférieure. Dans le premier cas, le paiement de cette prime constitue une injustice flagrante. On conçoit le compromis tacite qui sert de hase au régime protecteur ; on comprend que, dans l’intérêt de l’avenir, le pays consente à s’imposer un sacrifice pour soutenir l’industrie nationale et l’aider à s’établir solidement. Aller plus loin, ajouter un nouveau sacrifice au premier afin que cette industrie puisse poursuivre un profit sur le marché étranger aux dépens des contribuables, c’est une prétention inadmissible. Quand au contraire la prime est égale ou inférieure au montant des droits, c’est la preuve que la protection a rempli son rôle, et qu’elle a conduit l’industrie nationale au point où elle peut lutter avec un certain avantage contre l’industrie étrangère. Si le fabricant qui a opéré sur des matières franches de droits est en état de soutenir la concurrence sur le marché étranger, à plus forte raison il lui sera facile de la braver au dedans, et dès lors il n’existe plus de motif sérieux pour conserver le régime protecteur.

Il ne faut pas croire d’ailleurs que l’exportation puisse être une ressource générale et suffisante pour l’industrie. Elle demande des soins, des démarches, des avances, qui ne sont pas à la portée de tout le monde. C’est l’affaire des grands producteurs pourvus de capitaux considérables, et de relations étendues. Le petit fabricant ne connaît que le marché intérieur. C’est là qu’il lutte à outrance, qu’il fait et qu’il supporte une concurrence meurtrière. C’est donc le marché intérieur qu’il faut élargir à tout prix. Il ne reste plus pour cela qu’une seule ressource : la détérioration générale et systématique des produits. Je n’entreprendrai pas la longue et triste nomenclature des innombrables falsifications qu’on fait subir à toutes les marchandises, afin de pouvoir les livrer à bon marché : elles sont assez connues des consommateurs. Je citerai seulement, comme type du genre, l’opération curieuse qu’on nomme déflochage ou plus élégamment renaissance. Elle consiste à réduire en charpie les vieux chiffons d’étoffes de laine, et à les filer de nouveau pour en refaire des draps prétendus neufs.

III.

Ainsi, tout en admettant sans restriction les avantages primitifs du régime protecteur, on doit admettre également qu’il a depuis longtemps accompli son œuvre utile, que son rôle est terminé, et que l’industrie française a franchi les étapes successives que je viens de dé-