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LA LIBERTÉ COMMERCIALE.

puyer sur elle pour contenir ces intérêts : il a bien fallu atteindre sans son concours un but qui était, après tout, d’une incontestable utilité générale. — L’opinion n’était pas mûre, cela est vrai ; mais, au lieu de lui rompre en visière, il eût été plus sage de l’éclairer par tous les moyens possibles. On a préféré l’arbitraire, — un arbitraire légal du reste, — à la persuasion. Quoi d’étonnant si, au lieu d’une franche adhésion, on a rencontré la froideur et la défiance ? Une réforme ne peut passer pour assurée que lorsqu’elle est généralement acceptée et comprise. Jusque-là, elle est à la merci d’un revirement subit, et les reviremens ne sont pas impossibles en matière économique. À ce point de vue, et bien que la question semble aujourd’hui définitivement tranchée, il ne saurait être complètement inutile de la reprendre une fois de plus, de comparer la liberté commerciale et la protection, en évitant avec soin tout ce qui serait de nature à passionner le débat. Cette étude pourra peut-être éclaircir des points restés douteux et dissiper quelques préventions.

I.

Quelque partisan qu’on soit de ce qu’on appelle la liberté commerciale, quelque foi qu’on ait dans le triomphe de cette doctrine, on ne doit point parler légèrement du système protecteur ; on ne peut oublier que l’industrie moderne a grandi sous son aile, et a ainsi atteint en France et en Angleterre le magnifique développement qui a marqué la première moitié du siècle. On agit sagement aujourd’hui en renonçant à la protection, cela est hors de doute ; mais ce n’est pas une raison pour en nier les bons effets, pour lui refuser toute valeur économique dans le passé. Ce sont là des exagérations qui ont fait le plus grand tort à la cause de la liberté. Il est facile de présenter le régime protecteur sous un jour défavorable et de lui donner un vernis d’injustice et de monopole. Il suffit, — c’est ainsi du reste qu’on procède invariablement, — de l’attaquer par le détail au lieu de l’envisager dans son ensemble, d’opposer à l’intérêt d’une seule industrie celui du pays tout entier. Prenons, par exemple, l’industrie métallurgique. Tout le monde a besoin de fer, et le fer est produit en France par un nombre très restreint de maîtres de forges. Voici comment les libres échangistes posent la question. « Le prix du fer est surélevé, disent-ils, par le droit d’entrée qui frappe les fers étrangers. Est-il juste que 38 millions de Français paient le fer plus cher qu’il ne vaudrait sans l’existence du droit, afin d’enrichir quelques maîtres de forges ? » Si l’on s’en tient là, si la question reste isolée, il n’y a qu’une réponse possible. À l’exception des maîtres de forges, tout le monde s’écriera : Non, cela n’est pas juste, c’est un monopole odieux ! Très bien ; mais posons