Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/867

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

situation de la Russie fait sa force. A l’abri de toute attaque du côté de l’est, du nord et du sud, elle peut tourner toute son attention, toutes ses forces vers l’Occident, et elle le fait.

Si à côté de cette puissance toujours menaçante, généralement habile parce que sa politique est simple, les Slaves d’Autriche, qui y sont en majorité, ne peuvent développer librement leur nationalité, s’ils se sentent humiliés, privés d’une représentation suffisante aux diètes ou au Reichsrath et s’ils ne voient point d’issue légale à une situation qu’ils considèrent comme intolérable, n’y a-t-il pas lieu de craindre qu’ils ne se tournent vers la Russie, comme l’ont fait récemment les Croates et les Tchèques, et comme les Polonais ont été déjà tentés de le faire en 1846 et 1847 ? Ne pourraient-ils pas être séduits par cette idée, qu’en se jetant dans les bras des Moscovites ils obtiendraient, en échange de la liberté perdue, la grandeur nationale et l’âpre plaisir de se venger de ceux qui n’ont pas écouté leurs réclamations ? Alors, avec la Russie inévitablement menaçante à l’extérieur et les Slaves irrévocablement hostiles à l’intérieur, les jours de l’Autriche seraient comptés. Elle n’existerait plus que par tolérance. Que la France et l’Angleterre soient sérieusement engagées en Occident, et l’Autriche est démembrée comme la Pologne. On peut donc dire sans aucune exagération que, sous peine de mort, elle est obligée de donner satisfaction à ce qu’il y a de raisonnable dans les demandes des Slaves ; mais comment peut-elle le faire sans préparer sa propre dissolution ? En adoptant hardiment des institutions fédérales semblables à celles de l’Union américaine. Et qu’on le remarque bien, en le faisant, elle ne romprait pas avec la tradition, elle y rentrerait après en être sortie. Jusqu’en 1848, les différens pays qu’on appelait l’empire d’Autriche n’étaient réunis que parce qu’ils avaient un même souverain. Leur position légale, leurs relations avec la couronne, leur constitution, n’étaient pas les mêmes. Il n’existait pas sur les bords du Danube d’état unitaire comme en France, et les empereurs avaient toujours juré de respecter les privilèges des nombreux royaumes qui leur étaient soumis, les uns par la conquête, les autres par héritage, d’autres enfin par l’élection. Ces privilèges, la Hongrie, la Bohême et la Galicie les ont toujours réclamés ; elles n’ont jamais cessé de protester contre les essais de centralisation tentés depuis 1848. Les engagemens pris par l’empereur, les traditions historiques, les droits et les vœux des populations, l’extrême diversité de leurs langues, de leurs coutumes, de leurs besoins, tout commande donc l’adoption de la forme fédérale.

Si l’on considère la question d’une façon générale, il est certain que nulle constitution ne garantit davantage la liberté, que nulle