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III

Si l’on n’étudiait pas ainsi les choses de près, il serait impossible de se faire une idée des complications inouïes que la question des nationalités fait naître en Autriche. Ainsi voilà, dans la seule province de Galicie, deux groupes de populations en hostilité déclarée l’une contre l’autre et hostiles toutes deux au gouvernement central. Quel remède à une aussi difficile situation ? Il est très simple, dira-t-on peut-être : accordez à chaque groupe le droit de se gouverner lui-même, la liberté résout toutes les difficultés. Je le crois aussi, et on annonce que l’empereur est décidé à faire des concessions dans ce sens ; mais les obstacles que cette solution présente sont beaucoup plus sérieux qu’on ne peut se l’imaginer de loin. Premièrement, si l’on accorde aux Polonais l’autonomie complète qu’ils réclament, on ne peut la refuser aux Tchèques, aux Slovènes, aux Tyroliens, et la Cisleithanie est aussitôt transformée en une fédération réunie par des liens extrêmement lâches. Quelle action commune pourra-t-on espérer des membres disjoints d’un corps qui n’aura plus qu’une existence nominale ? Quelle force de résistance ce corps présentera-t-il à l’étranger en cas de conflit, à la Hongrie en cas de différend intérieur ? Secondement, par ce renversement d’une constitution à peine établie, on irritera profondément les Allemands, qui n’occuperont plus dans l’empire qu’une position subordonnée peu en rapport avec leurs souvenirs de prééminence et avec leur supériorité réelle de culture et de richesse. N’est-ce pas s’aliéner la seule force dont on dispose pour gouverner l’état et la livrer à l’attraction déjà si puissante de l’unité germanique ? Troisièmement autoriser la reconstitution d’un royaume de Galicie avec ses lois, son parlement et son ministère responsable, c’est faire d’avance le sacrifice de cette province au profit de la Pologne future et se résigner à perdre avec un magnifique territoire 5 millions d’habitans. Quatrièmement c’est provoquer le ressentiment implacable de la Russie, qui ne pardonnerait jamais à l’Autriche de lui mettre sur les flancs une Pologne indépendante, enflammant d’espoir les Polonais encore asservis, conspirant avec eux, leur soufflant la révolte et ne cachant point le dessein de reconquérir l’ancien royaume jusqu’au cours du Dnieper. Le gouvernement central demeurerait responsable de l’attitude et des actes de l’administration de Lemberg, et pourtant celle-ci ne serait plus soumise à son autorité. Cinquièmement enfin les Polonais, classe dominante par l’instruction et la richesse, respecteraient-ils les droits des Ruthènes, tjui Remportent par le nombre ? Faut-il, comme l’ont demandé parfois ceux-ci, couper la Galicie en deux parties séparées par la San, ou