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autrichien. On publiait à Vienne des livres d’instruction et un journal rédigés en ruthène, et on comblait de faveurs les députés ruthènes, qui apparaissaient à la diète dans leur costume de paysan, et votaient invariablement en faveur du gouvernement. Ici comme en Hongrie, les hommes d’état autrichiens se faisaient une arme des hostilités de race sans prévoir que ces passions nationales qu’ils surexcitaient se retourneraient un jour contre eux. C’est ce qui arriva bientôt en Galicie. Les Ruthènes, ayant pris le goût de la lecture et ne trouvant pas de quoi le satisfaire dans ce que l’on publiait pour eux à Vienne, se mirent à lire les livres et les journaux russes, qu’on eut soin de leur procurer de l’autre côté de la frontière. Le gouvernement autrichien ne tarda pas à s’apercevoir de la faute qu’il avait commise, il essaya de la réparer ; mais, au lieu de s’efforcer de gagner l’affection des Ruthènes en pourvoyant plus largement que la Russie à leurs besoins intellectuels, il eut recours au vieux et stupide moyen de la compression. Il crut avoir tout fait en supprimant l’alphabet cyrillien et en publiant en caractères latins des livres ruthènes qui parurent suspects aux paysans du rite oriental comme portant atteinte à leurs traditions liturgiques. C’était le comble de la maladresse et le meilleur moyen de livrer à l’influence russe ceux qu’on voulait y soustraire. Après s’être aliéné les Polonais en suscitant l’opposition ruthène, l’Autriche s’aliénait-celle-ci en voulant la comprimer, et elle arrivait ainsi à mettre contre elle dans la même province deux populations rivales.

Quelles sont aujourd’hui les tendances des Ruthènes de la Galicie et de la Russie ? À cette question, il n’est pas facile de répondre, parce que ces populations arriérées, toujours négligées ou opprimées par leurs maîtres, n’ont pas encore pris une conscience très nette de leur situation et qu’elles manquent d’organes qui puissent faire connaître leurs sentimens. Le clergé orthodoxe de la Ruthénie russe est rallié au tsar, qui ne néglige rien pour se l’attacher en faisant appel au sentiment religieux. Même le clergé du rite grec-uni de la Galicie penche du même côté ; il est à la tête du parti de Saint-George, et le métropolitain déclarait récemment que, si l’on célébrait à Lemberg l’anniversaire de la diète de Lublin, il arborerait un drapeau noir au clocher de sa cathédrale. Le journal politique ruthène en Galicie qui a pour titre Slowo (la parole), et qui est imprimé en caractère cyrillien, est l’organe du chapitre grec-uni. Son rédacteur, M. Didycki, est décoré d’un ordre russe. Le journal littéraire des campagnes obéit aux mêmes inspirations. On commence aussi à imprimer en russe les publications destinées aux Ruthènes. Ainsi M. Klimkowicz, qui rédigeait un recueil ruthène, le But, a fait paraître depuis à Vienne l’Aurore slave en russe. Il est donc très