Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’œuvre de Moïse, que les faits qu’il raconte ne sont jamais présentés comme provenant d’un témoignage oculaire ou immédiat, que les mêmes faits y sont souvent reproduits plusieurs fois avec des variantes contradictoires, que l’horizon géographique et historique des narrateurs est non celui d’un législateur écrivant dans le désert d’Arabie au milieu d’un peuple nomade, mais celui d’Israélites vivant longtemps après que leur peuple a pris possession de la terre de Canaan, que la législation du Deutéronome diffère notablement de celle qui est contenue dans les livres antérieurs, qu’enfin la tâche qui s’impose désormais à l’historien sérieux d’Israël est d’échelonner les documens divers dont l’ensemble forme le Pentateuque en les rattachant aux époques de l’histoire du peuple hébreu avec lesquelles le contenu de ces documens présente le plus d’analogie. En tout cas, il ne peut plus être question d’en appeler simplement à l’autorité des livres de Moïse pour définir la religion primitive d’Israël.

Peut-être la difficulté serait-elle moindre, si l’on pouvait opérer sans hésitation la distribution historique des documens originels du Pentateuque. On pourrait alors retrouver de place en place un fil conducteur dont il serait facile de discerner la direction dans les intervalles où il échappe aux regards ; mais voici ce qui complique l’opération. Jusqu’à l’époque où la nécessité de cette opération diminue et même s’annule, nous n’avons pas ou nous n’avons guère de données historiques suffisantes pour déterminer avec certitude l’âge respectif de ces documens. On risque fort de tourner dans un cercle. On dit : Ce document doit se rapporter à cette époque, car cette époque présente tels caractères, tels besoins, tels phénomènes ; mais d’où sait-on que cette époque-là se reconnaît à tous ces signes ? Le plus souvent c’est par d’autres documens de date également contestable ; parfois l’époque en question n’est caractérisée que par le document que l’on suppose lui appartenir. Que gagne-t-on lorsqu’on adosse l’incertain contre l’inconnu ?

Il y a plus, quand on examine de près les documens historiques de l’Ancien-Testament, on s’aperçoit qu’ils sont rédigés tantôt conformément aux prétentions de la caste sacerdotale, tantôt au point de vue des prophètes, c’est-à-dire des zélés partisans du jehovisme aux temps voisins de la captivité, monothéistes ardens qui se souciaient beaucoup plus de la fidélité dans la croyance que de l’observation exacte du rituel. Les mêmes faits sont trop souvent présentés sous des couleurs différentes, selon que les narrateurs appartiennent à l’une ou à l’autre tendance, pour que la légitimité de cette distinction puisse être contestée. Il suffit du reste, si l’on hésite à le reconnaître, de comparer par exemple le livre des Chroniques