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littéralement : d’un côté, autour de nous, le plus sensible et le plus destructeur des phénomènes, le sol tremblant, les montagnes ébranlées dans leurs fondemens ; de l’autre côté, le spectacle de cette foule qui à chaque minute s’élançait hors des maisons pour y rentrer aussitôt, plus effrayée que de raison, puisque les secousses cessaient toujours au moment où elles devenaient assez fortes pour nous inquiéter sérieusement. On eût dit qu’on jouait au tremblement de terre, et beaucoup d’indigènes riaient) avec moi, quoique tout le monde sût bien que la plaisanterie pourrait se tourner en horreur. »

Dans ses promenades à travers les forêts de Célèbes, M. Wallace a fait une remarque qui mérite d’être citée, parce qu’elle détruit une erreur assez répandue. Ceux qui ne connaissent la nature tropicale que par les livres ou par les jardins botaniques se figurent volontiers que des fleurs aux couleurs éclatantes y bordent les précipices, surplombent les cascades et embellissent les lits des torrens. En réalité, il n’en est rien. « C’est en vain, dit M. Wallace, que j’ai interrogé des yeux ces murailles de verdure, ces tapis de plantes grimpantes et d’arbustes touffus, les bords des rivières, les fentes des rochers et l’entrée des cavernes ; nulle part je n’ai aperçu une seule tache de couleur brillante ; aucun arbre, aucun buisson ne portait une fleur assez visible pour se détacher sur le paysage. Dans toutes les directions, l’œil se reposait sur un fond plat de verdure ou sur des rochers pommelés. Il y avait assurément une variété infinie de tons et de formes dans le feuillage, de la grandeur dans les roches massées et dans l’exubérance de la végétation, mais point de couleurs vives. Cette description exacte d’un paysage tropical, je l’ai prise sur le lieu même, et les traits caractéristiques du tableau se sont si souvent répétés dans l’Amérique du Sud et dans tout l’Orient équinoxial, que je me crois fondé à admettre qu’il représente fidèlement l’aspect général de la nature sous l’équateur. Où sont alors, me demandera-t-on, ces fleurs tropicales dont parlent les voyageurs ? La réponse est facile : ces fleurs sont très rares ; celles qui sont cultivées dans nos serres ont été rapportées des régions les plus diverses du globe et souvent des points les plus arides et les plus déserts de l’Afrique ou de l’Inde. Dans les régions où la végétation est la plus luxuriante, le feuillage efface complètement les fleurs, qui n’ont d’ailleurs généralement qu’une existence éphémère. Pour les trouver, il faut les chercher, les cueillir une à une. Les voyageurs ont pris l’habitude de grouper ensemble les plantes qu’ils ont observées, et cela produit alors l’effet d’un paysage fleuri. Pour ma part, je suis convaincu que les couleurs brillantes des fleurs jouent un rôle tout autrement important dans le paysage de nos climats tempérés ; jamais sous les tropiques je n’ai rien vu de