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Dans ses excursions, M. Wallace avait souvent rencontré des arbres dont les troncs étaient lardés de chevilles de bambou jusqu’à la cime, et il s’était demandé dans quel dessein on les avait ainsi accommodés. Il eut l’explication de cette singularité dans l’une de ses chasses à l’orang. Pour faire l’ascension d’un arbre dont les premières branches étaient à 20 mètres du sol et sur lequel restait suspendu un singe blessé à mort, deux jeunes Dayaks commencèrent par découper dans du bambou suffisamment dur vingt-quatre chevilles pointues ; ensuite ils allèrent chercher un certain nombre de cannes de bambou, les plus longues qu’ils purent trouver, et se mirent en devoir d’en attacher une solidement avec des cordes d’écorce aux chevilles qu’ils faisaient entrer dans le tronc de l’arbre à coups de maillet. Ces chevilles étaient posées à des distances d’un mètre ; ils les fixèrent en montant sur les échelons qui étaient déjà en place, et en se retenant d’une main à la perche de bambou. Trois de ces perches mises bout à bout et toujours liées aux degrés de cette échelle improvisée leur permirent d’atteindre la cime et d’en arracher le singe, qu’ils jetèrent en bas. Les indigènes de l’île de Timor ont recours à un autre procédé d’ascension pour s’emparer de la cire et du miel des abeilles, qui font leurs ruches dans des arbres extrêmement élevés. Ils saisissent dans chaque main l’un des bouts d’une corde passée autour du tronc, puis s’inclinent en arrière et se mettent à gravir en profitant de chaque point d’appui que leur offre l’écorce pour hausser la corde. Une torche dont la fumée doit éloigner les abeilles et un couteau pour couper les gâteaux de cire complètent l’outillage du chasseur.

A l’approche de la saison des pluies, M. Wallace résolut de retourner à Sarawak. Sa route le conduisit à travers une foule de villages où l’apparition d’un Européen fut un événement. Les enfans fuyaient à son aspect, les femmes se cachaient ; puis, rassurées, elles l’entouraient, l’examinaient et le priaient de découvrir ses bras pour constater s’il n’était pas seulement blanc de visage. Un Orang-Kaya ou chef de tribu organisa des jeux auxquels M. Wallace assista, comme Ulysse aux jeux des Phéaciens, mais sans y prendre une part active. L’un de ces jeux consiste à s’asseoir deux par terre, pied contre pied, avec un bâton que chacun saisit à deux mains ; on cherche à faire lever son adversaire soit par une traction énergique, soit par un brusque effort en se rejetant vivement en arrière. Un autre jeu, c’est de prendre un de ses pieds dans la main et de rester debout sur une jambe pendant que l’adversaire, tournant également sur un pied, cherche à vous renverser avec sa jambe captive. Il y eut ensuite concert : les uns ramenaient une jambe sur le genou et frappaient de leurs doigts la cheville du pied, les autres se battaient les flancs avec les bras comme des coqs qui vont