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sexe différent, lorsque par l’âge ou par quelque autre circonstance le sexe propre vient à s’effacer. Les instincts de la femelle, comme la tendance au couvage, se réveillent dans le chapon, tandis que par un effet inverse les femelles qui cessent de pondre reprennent dans quelques cas la livrée du mâle. M. Darwin cite des biches qui avaient pris du bois en vieillissant, et l’on sait que la barbe pousse assez souvent aux femmes âgées. Tous ces effets procèdent de caractères qui demeurent enfouis, pour ainsi dire, dans les profondeurs de l’organisme. Les qualités, les défauts, les prédispositions morbides, peuvent se transmettre de cette façon et sauter à travers une ou plusieurs générations ; seulement le phénomène devient alors plus complexe, il prend le nom d’atavisme ou de récurrence, et le caractère qui fait ainsi retour peut demeurer longtemps inconnu chez les descendais de celui qui en a transmis le germe.

Hérédité, croisement, récurrence, tout ce qui relève de la vitalité semble dépendre d’une force unique dans son principe, multiple dans ses applications, toujours active et permanente, raison d’être de tout ce qui est organisé, depuis la cellule et l’embryon jusqu’aux entités les plus élevées et les plus complexes. Ce sont les ressorts secrets de cette force que M. Darwin a essayé de saisir et d’expliquer à l’aide d’une hypothèse ingénieuse, mais qui pourtant, il faut le dire, laisse l’esprit aussi perplexe après l’avoir écoutée qu’il l’était auparavant. Cette hypothèse, considérée par l’auteur lui-même comme provisoire, est nommée par lui pangénèse, c’est-à-dire génération universelle ; elle offre un mélange évident des idées de Buffon sur la génération et de celles de plusieurs physiologistes modernes, principalement de M. Claude Bernard[1]. D’après Buffon, la matière organisée comprendrait une foule d’élémens ou molécules douées de vie et de mouvement, qui circuleraient dans tous les corps, s’y introduiraient par la nutrition, et s’y accumuleraient de manière à réparer les pertes et à fournir les matériaux des nouveaux êtres. La vie organique résulterait donc d’un tourbillon perpétuel, dont les élémens, entraînés dans un courant sans fin, ne deviendraient libres que pour s’associer de nouveau. Aux yeux des physiologistes les plus éminens de notre époque, non-seulement chaque organe possède sa vie propre et son autonomie, mais il n’est lui-même qu’un assemblage d’autres parties plus petites, et celles-ci se divisent de la même manière jusqu’à ce que l’on arrive à la cellule, élément primordial, véritable unité organique dont est nécessairement composée en dernière analyse toute entité vivante et corporelle. Selon les meilleures observations, chaque cellule est une véritable individualité

  1. Voyez dans la Revue du 1er septembre 1864, Études physiologiques sur quelques poisons américains, — le Curare, par M. Claude Bernard.