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chevaux qui vient chercher les centrals. et les forçats pour les conduire au chemin de fer. Avant qu’ils ne partent pour leur destination, qui bien souvent est Cayenne ou la Nouvelle-Calédonie, ils sont rasés, et le barberot (barbier) leur taille les cheveux en échelle, à coups violens qui laissent apparaître la peau du crâne et lui donnent une apparence zébrée. C’est la coiffure distinctive du forçat ; puis le condamné se déshabille complètement, nu comme Dieu l’a fait. Lorsqu’il est dans cet état, on procède au grand rapiot, c’est-à-dire à une perquisition minutieuse. Un des surveillans conducteurs qui doivent escorter le prisonnier jusqu’au bagne lui regarde dans la bouche, sous les aisselles, entre les doigts des pieds, pour voir s’il ne cache pas quelque lime ou de l’argent. Est-ce tout ? Non pas ; on fait pencher le malheureux en avant, on lui ordonne de tousser avec force, et au même instant on lui applique une claque sur le ventre. Le but de cette opération qui n’a rien de douloureux est assez délicat à expliquer. Jadis il était de tradition parmi les hommes des chiourmes et des geôles que certains prisonniers possédaient une herbe merveilleuse qu’on appelait l’herbe à couper le fer. Vidocq, qui s’échappa plusieurs fois de prison et du bagne, savait bien où elle poussait. Depuis ce temps, le scepticisme a fait quelques progrès, l’on est moins crédule, et l’on sait que les voleurs excellent à cacher dans une partie secrète de leur corps un étui qu’ils appellent le bastringue, et qui est un véritable nécessaire de serrurier. C’est pour les débarrasser de cet instrument baroque qu’on les visite avec tant de précautions. J’ai un de ces bastringues sous les yeux : il est en étain ; fermé, il ressemble à l’étui dont les tailleurs font usage ; il contient une lame de poignard, une vrille, une lime à bois, une scie à bois, une scie à fer, qu’on peut monter en archet et qui a cinq lames de rechange ; il n’y a pas de chaîne qui puisse résister à un pareil outillage bien manié. — Quand cet examen est terminé, le condamné revêt du linge et des habits apportés exprès, puis on lui attache les jambes dans des anneaux de fer reliés par une chaînette assez longue pour lui permettre de marcher, trop courte pour le laisser courir ; les bracelets sont fermés à l’aide d’une clé qui manœuvre un boulon à vis dont la tête est assez enfoncée dans l’orifice pour ne pouvoir être atteinte à la main. On fait l’appel des noms, chaque condamné doit répondre et indiquer en même temps sa masse, c’est-à-dire l’argent que le greffier a confié pour lui au conducteur et qui ne lui sera remis qu’à destination. J’ai vu un de ces misérables qui, frappé d’une condamnation à vingt ans de travaux forcés, partait pour Toulon et de là pour la Nouvelle-Calédonie ; sa masse se composait de 17 sous. — En voiture cellulaire, les condamnés sont conduits à la gare, où, depuis le mois de juin 1868, ils