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retranchée par suite d’une mesure regrettable. Au lieu de jeter ces petits vagabonds dans les hasards de la vie agricole, il eût été meilleur de les laisser sous l’influence directe de la Société de patronage, qui s’en occupait. Tout enfant détenu en vertu de l’article 66 du code pénal pouvait de la sorte se réhabiliter et marcher dans la bonne voie. Il avait lui-même, pour ainsi dire, entre les mains, la clé de sa cellule ; lorsque, dans la prison, il avait appris à lire et à écrire, qu’il avait fait sa première communion, qu’il s’était montré docile, on le mettait en apprentissage dehors, dans un atelier libre ; s’il s’y conduisait bien, il y restait, s’y perfectionnait ; s’il y donnait le mauvais exemple, on le réintégrait à la Petite-Roquette. Les résultats obtenus ainsi étaient si précieux qu’ils auraient dû amener un changement radical dans le système pénitentiaire, car l’enfant, sa peine terminée, trouvait sans transition de l’ouvrage et le pain quotidien dans l’atelier où il avait travaillé. Aujourd’hui tout est remis en question ; la difficulté de l’embauchage pour le prisonnier libéré s’accentue de nouveau ; on a agi sans réflexion ; on a senti au lieu de raisonner, et les jeunes détenus parisiens vont aller maintenant achever de se perdre dans ces colonies pénitentiaires, qui pour beaucoup seront la première étape de la longue et terrible route dont la dernière station est au bagne, sinon sur l’échafaud.

Aux termes de la loi, tout individu condamné à plus d’une année d’emprisonnement, ne serait-ce qu’à un an et un jour, doit être transporté dans une des vingt-six maisons centrales établies dans les départemens ; on ne garde donc, sauf exceptions motivées, dans les prisons de Sainte-Pélagie, de Saint-Lazare et de la Santé que les détenus frappés d’une peine n’équivalant pas à plus de douze mois. Aussi tous les condamnés qui doivent être dirigés sur les maisons de réclusion ou sur le bagne sont provisoirement enfermés à la Grande-Roquette, qui s’appelle administrativement le Dépôt des condamnés. Cette prison est célèbre parmi les malfaiteurs, car elle sert d’antichambre à la guillotine. Elle est établie d’après le système auburnien ; les prisonniers, réunis pendant le jour dans de grands ateliers, travaillent à des œuvres de ferronnerie, à des préparations de cuir et à d’autres métiers faciles à apprendre. En 1868, le mouvement des entrées a été de 2,020, celui des sorties de 2,324 ; 357 détenus restaient sous clé au 31 décembre, et les journées de travail ont été au nombre de 177,915. C’est une prison qui n’a rien de particulier, les cours en sont larges et très aérées, et la discipline y est plus sévère que dans les autres maisons de détention du département de la Seine. A certain jour, elle s’anime. La grille et la lourde porte qui ferment l’entrée s’ouvrent pour laisser pénétrer dans la première cour un grand omnibus à quatre