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fixé contre la muraille ; la table est un abattant qui s’appuie sur une potence de fer à charnière ; la chaise est remplacée par un escabeau ; le parquet est composé de feuillets de chêne disposés en point de Hongrie. De plus chaque culte trouve un local spécial : ainsi il y a non-seulement la chapelle catholique, mais un prêche cellulaire, un autre en commun, sont réservés aux protestans, de même qu’une petite synagogue est consacrée aux israélites ; il faut les impérieuses nécessités de la prison pour que ces frères ennemis puissent vivre en si proche voisinage. La partie de l’édifice affectée au régime en commun est établie selon le système auburnien, c’est-à-dire que les détenus y sont mêlés, pendant la journée, dans les ateliers, dans les réfectoires et dans les préaux, mais que la nuit ils sont mis en cellule et dorment dans un isolement absolu, méthode fort bonne et qui mérite d’être généralisée en attendant que l’expérience ramène au régime cellulaire pur et simple. Un fait démontrera combien les progrès s’accomplissent lentement lorsqu’ils sont soumis au bon vouloir du budget. Cette prison est la seule à Paris qui possède un lavoir abrité, construit exprès, où les détenus peuvent le matin, en sortant du lit, faire leurs ablutions. Pourtant les hommes à qui incombe la surveillance supérieure des prisons savent bien que la propreté, outre les avantages sanitaires qui en résultent, est pour ainsi dire la forme extérieure de la moralité, et qu’il est indispensable que les prisonniers la pratiquent sans entrave comme sans réserve. Les cours sont spacieuses, et dans les ateliers l’air et le jour entrent à grands flots. On y fabrique des paillassons, des parapluies, des boites à bougie ; on y tourne des pommes de cuivre, on y lisse du papier de couleur, on y fait des chaussons, et l’on ne paraît pas trop s’y ennuyer. En présence de ces deux systèmes opposés et qui se côtoient dans des conditions si diverses, sous l’œil du même directeur, il est une expérience facile à enregistrer et qui rendrait de grands services à ceux que préoccupe la solution du problème pénitentiaire : relever avec soin sur deux registres séparés les détenus isolés et les détenus en commun, pour constater, au bout d’un laps de temps déterminé, quel est le système qui envoie le plus de récidivistes devant les tribunaux. Le directeur actuel de la prison de la Santé est un homme plein d’intelligence et de bon vouloir ; un tel travail, basé sur les données certaines que mieux que tout autre il peut recueillir, est fait pour le tenter, et constituera un document du plus haut intérêt.


III

Comme Sainte-Pélagie, Saint-Lazare est une vieille maison, énorme, mais décrépite, excellente pour un couvent, désastreuse pour