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nuances, divisés selon les longueurs, et, après un nettoyage qui ne les rend guère plus ragoûtans, envoyés à Sainte-Pélagie, où des détenus passent la journée à les fixer sur un fil de soie. De là, lorsqu’ils auront été massés d’après les règles de l’art, ils s’en iront rue Notre-Dame-de-Lorette ou au faubourg Saint-Germain.

Toutes les dépendances de Sainte-Pélagie sont serties d’une haute muraille dont la partie supérieure forme terrasse et qui les enferme dans un carré régulier. Le soir, on place là des sentinelles qui planent sur les cours et sur les bâtimens. Malgré cette surveillance auxiliaire, on peut se sauver. Le 12 juillet 1835, 28 détenus politiques trouvèrent moyen de s’enfuir, et lorsque le directeur, fort effarouché, vint lui-même apporter cette nouvelle à M. Gisquet, celui-ci se contenta de rire en disant : « Tant mieux, la république déserte. » Il y a quatre ans, le 26 janvier 1865, un Anglais nommé Thomas Jakson, condamné à cinq années de prison et qui avait obtenu par grâce spéciale de faire son temps à Paris, se hissa hors du pavillon central en passant par une lucarne qui est auprès de l’horloge ; marchant le long des toits, il parvint à jeter sur le mur d’enceinte une corde munie d’un crochet à l’aide de laquelle, profitant d’une pluie torrentielle qui assourdissait le bruit de ses mouvemens, il parvint à se laisser tomber dans la rue. Les mauvaises langues prétendent qu’il alla choir sur la guérite même du factionnaire. On s’aperçut de l’évasion le lendemain matin, et l’on chercha le fugitif avec le plus grand zèle ; mais comme il avait décampé à sept heures du soir, que le train express pour l’Angleterre partait à huit, il est fort probable qu’il était à Londres lorsqu’on s’imaginait de vérifier s’il était encore à Paris.

Les deux systèmes pénitentiaires si différens qui ont amené la construction de Mazas et le maintien de Sainte-Pélagie sont mis en présence pour fonctionner côte à côte dans une prison destinée à remplacer celle des Madelonnettes, récemment détruite. La maison de détention de la Santé, bâtie dans la rue de ce nom, à l’angle du boulevard Arago, est sans contredit la plus belle et la meilleure prison qui existe en Europe. Elle est mi-partie cellulaire et mi-partie en commun ; chacun de ces deux quartiers peut contenir 500 détenus ; dans l’année 1868, elle en a vu entrer 3,525 et sortir 3,304, qui ensemble ont fourni 171,194 journées de travail ; au 31 décembre, elle en renfermait 695[1]. L’expérience de Mazas a servi, et l’on a modifié certains aménagemens de façon à les rendre plus pratiques. Le détenu couche sur un vrai lit, qui peut se relever et être

  1. Le personnel du service de surveillance est composé de 40 hommes, de 2 sous-brigadiers et de 1 brigadier.