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excepté pendant les messes militaires. Néanmoins l’impression est très vive. Le retentissement de l’orgue et des chants grégoriens frappe les voûtes, retombe comme une tempête, se précipite dans les galeries ouvertes, et va réveiller chez bien des détenus des souvenirs qui pourront les émouvoir, mais ne les rappelleront pas au bien. Pour beaucoup d’entre eux, vagabonds et fils de voleurs, issus de la misère unie à la débauche, c’est là un langage ignoré dont ils n’ont jamais entendu la première parole, et dont la pompe austère, sinon terrible, peut les impressionner. Pour d’autres, c’est une distraction ; pour bien peu, c’est un secours. A un moment, le ciel s’est découvert ; par les hautes fenêtres, un rayon de soleil est entré comme un emblème éclatant de la liberté rêvée, de l’indépendance perdue, des jours de l’enfance, de ce bon temps où sans contrainte on courait à travers les champs. Mon cœur s’est serré, et pour tous ces pauvres hommes je n’ai plus senti qu’une commisération sans bornes. Par l’entre-bâillement des portes, on apercevait çà et là des faces collées, puis la blancheur du linge et des cheveux crépus qui passaient. J’ai voulu voir comment on écoutait la messe ; j’ai parcouru une galerie et regardé dans trente-trois cellules. Trois détenus lisaient des prières ; un, debout, la tête couverte, regardait vers l’autel ; un autre était à genoux ; un, ayant posé son Paroissien, tenait à la main une brochure illustrée ; un autre, les bras appuyés sur la planchette de sa porte, la tête enfoncée dans ses bras, pleurait avec des sanglots qui le secouaient tout entier. Ne serait-ce que pour cet homme, la messe a été sanctifiée ce jour-là. Les vingt-six autres détenus, assis à leur table, travaillaient ou lisaient.

Mazas est bien gardé. Les grilles sont solides, chaque porte est toujours fermée, les murailles sont épaisses et hautes, les surveillans ont des yeux bien ouverts, et pendant la nuit on pose des sentinelles dans le chemin de ronde qui circule entre les deux enceintes[1]. Aussi, depuis bientôt vingt ans, on n’a eu à constater aucune évasion ; une seule tentative a eu lieu et n’a été déjouée que par des circonstances fortuites. Un ancien serrurier nommé Pierre Charreau, âgé de quarante-quatre ans, détenu en prévention, trouva moyen, dans la nuit du 2 au 3 mars 1860, d’enlever la fenêtre de sa cellule, de desceller les barreaux, de pénétrer dans les préaux, qu’il franchit, et d’arriver ainsi, sans avoir donné l’éveil, jusqu’au pied du premier mur d’enceinte. Là, ayant trouvé

  1. Autrefois les sentinelles dans les prisons avaient le fusil chargé, et recevaient ordre de tirer sur tout détenu qui tenterait de s’évader ; mais depuis qu’un soldat malavisé a, le 31 décembre 1856, tué à la maison de détention pour dettes un Américain qui prenait l’air à sa fenêtre une heure avant d’être mis en liberté, on laisse les cartouches dans les gibernes, et l’on prie les sentinelles de se contenter de donner l’alarme.