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résultat, il tire un certain profit du travail qui est uniformément imposé à tous les détenus condamnés[1]. A cet effet, le travail n’est concédé à des entrepreneurs que sous certaines conditions, le genre des industries auxquelles les détenus doivent travailler est soumis à l’examen et à l’approbation du préfet ; le salaire n’est accepté et réglé qu’après avis donné par les chambres de commerce. Le concessionnaire est tenu de remplir certaines charges qui ne laissent pas d’être onéreuses, telles entre autres que le chauffage et les vidanges de la prison ; mais il reçoit la moitié du salaire gagné par le détenu ouvrier, de sorte que c’est celui-ci qui paie d’une façon détournée une partie de l’entretien de la maison. La règle est absolue, et si quelque prisonnier privilégié obtient de ne pas être astreint au labeur imposé, il se rachète en payant 25 centimes par jour à l’entrepreneur. Par le fait, un détenu qui gagne 1 franc ne touche que 50 centimes, dont moitié lui est remise comme denier de poche, et dont l’autre, le denier de pécule, est gardée pour former une masse qui lui sera donnée au moment de sa libération.

La nourriture du moins n’est point marchandée aux prisonniers ; mais elle n’est point suffisante pour tous les hommes, dont quelques-uns souffriraient de la faim, si le denier de poche ne leur permettait de faire quelques achats à la cantine établie dans toute prison. Chaque jour, le détenu reçoit un pain cuit la veille et pesant réglementairement 750 grammes ; le dimanche et le jeudi, il a le matin 5 décilitres de bouillon gras et une ration de 125 grammes de viande de bœuf bouilli qui doit être servie chaude ; les lundi, mercredi, vendredi et samedi, sa pitance, — c’est le mot consacré, — se compose de 5 décilitres de soupe maigre et de 4 décilitres de demi-secs, c’est-à-dire de pois, de haricots, de lentilles, de pommes de terre. La nourriture, ainsi qu’on le voit, n’est point trop abondante ; elle a pour base principale le pain, qui est bis-blanc, et ne paraît pas être ordinairement de mauvaise qualité. Un spécimen de pain pris au hasard est envoyé tous les jours au chef de la première division de la préfecture de police. Les détenus sont libres de faire venir leurs repas du dehors ; il y en a beaucoup, dont les familles habitent Paris, qui reçoivent à manger de chez eux. Lorsqu’un prisonnier est pauvre, que son ignorance d’un métier productif l’empêche de gagner assez d’argent pour acheter des vivres à la cantine et que la pitance quotidienne ne suffit point à calmer sa faim, le médecin ordonne

  1. C’est à partir de 1817 que le travail des détenus fut compris dans des traites d’entreprises générales ; en 1842, l’état a pris les maisons de détention en régie ; un décret du 24 mars 1848 abolit le travail dans les prisons sous le prétexte dérisoire qu’il portait atteinte au travail libre ; une loi du 9 juillet 1849 le rétablit avec des restrictions qui disparurent après le décret du 25 février 1852 ; en 1856, la régie fit de nouveau place aux entreprises, et n’a été conservée qu’à la maison centrale de Clairvaux, où l’on poursuit une expérience commencée.