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avaient été institués était celle qui en profitait le moins. Les femmes d’ouvriers anglais sont habituées à faire chez elles leur blanchissage. Un sentiment de fierté les éloigne de tout ce qui ressemble à un secours ; que diraient leurs voisines en les voyant entrer dans de pareils endroits, soutenus en quelque sorte par la charité publique ? Il n’y a donc aucune raison pour que les lavoirs publics se multiplient à Liverpool après le peu de succès qu’ils ont obtenu. L’opinion générale, en cela d’accord avec les mœurs, est que toutes les maisons, même celles des plus humbles artisans, devraient être pourvues d’une buanderie ; c’est une obligation qui incombe aux propriétaires et non à la ville.

On pourrait appliquer aux grandes cités ce qu’Horace disait des langues, mutantur ; elles n’existent même qu’à la condition de changer toujours. De même que les forêts renouvellent leur feuillage, ainsi rajeunissent les villes. Les vieilles maisons tombent et sont remplacées par d’autres ; le flot des constructions se répand dans la campagne ; ce qui était hier un marais, sterilisve diu palus aptaque remis, est aujourd’hui l’un des quartiers les plus élégans ; les édifices surgissent d’au milieu des ruines, et le mouvement de la population amène sans cesse de nouveaux plans d’édilité publique. C’est pour répondre à ce besoin de progrès et d’amélioration qu’a été créé un comité spécial préposé aux embellissemens de la ville (improvement committee). En ce moment même il s’occupe de convertir des terrains vagues en un parc public (Sefton park), qui doit servir de promenade aux ouvriers. Quand je visitai les travaux, les arbres n’étaient point encore plantés ; mais des bassins de pierre surmontés de rocailles attendaient les chutes d’eau. Le bourg est un petit état dans l’état ; il se gouverne lui-même, et pourtant il reconnaît une autorité supérieure à laquelle il doit s’adresser toutes les fois qu’il a besoin d’une modification dans la loi. Sous le titre de general and parliamentary committee, un groupe d’aldermen et de conseillers se charge de s’entendre avec le parlement pour toutes les mesures qui exigent la sanction des chambres. Quand on parle de décentralisation, il faut y réfléchir à deux fois avant d’appliquer ce mot à l’Angleterre. Certes il existe chez nos voisins une administration locale très forte et très indépendante ; mais il s’en faut de beaucoup que ce système entraîne l’isolement et la désagrégation des provinces. Il existe au contraire peu d’états en Europe qui jouissent d’une plus profonde unité. Ce qui trompe beaucoup d’étrangers, c’est qu’ils confondent la centralisation avec la bureaucratie. Les municipalités ont en Angleterre trop d’intérêts communs, et elles sont trop étroitement régies par la loi pour ne point former un tout ; mais les Anglais ne connaissent point cette armée de