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Une enquête ouverte par le conseil révéla des faits désolans. Dans les cours et les pauvres rues de Liverpool, les maisons contiennent généralement trois grandes chambres superposées les unes aux autres, et comme elles sont bâties dos à dos, avec des fenêtres qui ne s’ouvrent que sur le devant, il est très difficile d’y renouveler l’air. On comprend alors ce que doivent être de telles habitations quand elles sont encombrées de monde[1]. Quelques témoins déposèrent avoir vu des spectacles hideux : les morts et les vivans réunis dans le même local, des enfans couchés avec des cadavres. La promiscuité des sexes dans ces galetas devait également exercer une influence pernicieuse sur la jeunesse. Il ne faut rien exagérer, l’habitude atténue beaucoup l’effet de certaines impressions, et une fille de la classe ouvrière ne perd point nécessairement le respect d’elle-même pour assister à des scènes de nuit qui révolteraient la délicatesse de personnes mieux élevées. Toujours est-il que ces tristes conditions de la vie domestique ne sont point de nature à développer le sentiment de la vertu et de la dignité humaine. Un autre inconvénient de ces intérieurs, où le même local sert à la fois de salle à manger et de chambre à coucher pour toute une famille, est que le désordre, la saleté, le manque d’espace, chassent en quelque sorte les habitans de chez eux. Ils quittent volontiers leur maison : même par les temps de boue et de pluie, la rue est plus propre que leur chambre ; mais d’un autre côté à quelles tentations n’expose point la vie en plein air ! Sur la voie publique, on rencontre à chaque pas le mont-de-piété et le cabaret. Le lundi, avant six heures du matin, il n’est pas rare de voir à la porte des prêteurs sur gages (pawn shops) une foule de malheureux qui attendent l’ouverture de la boutique : ils font argent de tout, de leurs habits, de leur linge, de leurs ustensiles de ménage, et cet argent ainsi emprunté va bientôt grossir la bourse du publicain (marchand de bière et de genièvre). La misère engendre l’ivrognerie. Un grand nombre d’hommes, de femmes et de jeunes filles qui dans les faubourgs de Liverpool se livrent aux travaux des fermes ont coutume de se répandre la nuit dans le voisinage de Wright treet, un très pauvre quartier de la ville, et s’attachent obstinément aux public-homes jusqu’à l’heure de la fermeture. Ils se rendent alors dans des caves où, pour une très faible rétribution, ils dorment sur la paille ou sur des copeaux.

  1. Une veuve et sa fille occupaient l’une de ces maisons à titre de principales locataires, et, pour retrouver le prix de leur loyer, elles sous-louaient le cellier à deux femmes, la chambre du premier étage à une famille composée de l’homme, la femme, un fils de vingt-deux ans et une fille, la chambre d’au-dessus a une femme et trois enfans. Les inspecteurs signalent que, dans une autre chambre sous-louée par une vieille femme, il y avait un lit sur la table, un second sous cette même table et un troisième dans un trou à charbon.