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beaucoup et d’être encore capable d’études serrées et profondes.

La pieuse main d’un Basile qui suppose que la morale est perdue, que la société est compromise par des statues, ou celle de quelque Erostrate en délire a attenté au groupe de M. Carpeaux. Les traces de cette action criminelle ont disparu, et M. Carpeaux peut se consoler. Une tache d’encre a plus fait pour la notoriété de son talent que n’eussent pu dix années de rudes labeurs, de sacrifices, de luttes obstinées, de succès modestes. Sur le champ de bataille de l’art, il a conquis une position que plus d’un ambitionne : les yeux sont tournés sur lui ; il est assuré de la renommée, il aura l’immortalité, au moins viagère. Il a été plusieurs jours de suite l’objet des conversations d’un monde blasé qui l’a sacré grand. Il n’a rien perdu à tout ce bruit. Si ses sculptures antérieures ne sont pas parfaites, pour celle-ci l’esprit de protestation qui est au fond de l’âme humaine contre toute violence et toute basse persécution lui a gagné, lui a ramené plus de sympathie, plus de bienveillance irraisonnée que ne pourront se l’imaginer jamais ceux qui l’ont misérablement noircie ; mais cette bonne volonté de sentiment s’épuisera comme tant d’autres, elle ne suffira pas longtemps à masquer les défauts de ce groupe et à le faire passer pour supérieur aux autres morceaux du sculpteur.

Pour conclure, la dernière œuvre de M. Carpeaux, quelque mérite qu’on veuille lui attribuer en elle-même, sera toujours déplacée là où elle se trouve, non point, il s’en faut, à cause de la nudité des figures de femmes qu’il a montrées dansant au soleil. Nous n’avons pour le nu aucun de ces scrupules qui font voir trop de mépris de la nature humaine. Pourquoi renier la nature, lui jeter la pierre, se scandaliser ? Qui donc a l’orgueil de se mettre au-dessus ? « L’art, c’est le nu, » disait M. Ingres. Sans aller aussi loin, nous croyons le nu assez chaste, d’un spectacle assez honnête quand il s’élève à la véritable beauté. Les beaux modèles ne portent guère aux actions basses et honteuses. Par malheur, M. Carpeaux a posé les figures de son groupe en dehors des conditions réelles de la beauté. Elles n’ont ni la jeunesse, cette première beauté, ni la grâce, ni même cette beauté de second ordre, qui est le joli, dont nous avouons volontiers faire peu de cas, et que quelques hommes spéciaux regardent comme le premier degré de la laideur. Elles vivent cependant, mais d’une vie peu enviable pour des figures de pierre, attristante, attristée, avec leurs corps, sans vigueur et sans accent, leurs attitudes contraintes et leurs contours redondans. Malgré la verve et l’entrain du mouvement, l’attention qu’elles ont provoquée d’abord s’est assez vite lassée ; leur sourire appelle une admiration qui ne veut point venir, on cherche pourquoi. On ne peut pas dire qu’elles