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assigné à ceux-ci une place à part dans la société) même sur la terre de l’égalité se maintenait entre eux et les privilégiés de la race blanche une injurieuse distinction. Cependant des écoles pour les enfans de couleur n’avaient pas laissé de s’établir, et, tout en les considérant comme incapables de jouir des droits civils et politiques, l’état s’était cru obligé de leur assurer les bienfaits de l’éducation. Quelques-uns des fonctionnaires préposés à l’enseignement public avaient porté un véritable intérêt à ces déshérités et reconnu que ni l’aptitude ni l’intelligence ne leur faisaient défaut. Quelques bons esprits commençaient à soupçonner que c’est à la fatale influence de l’esclavage bien plus qu’à la nature qu’il est juste d’attribuer leur infériorité morale, universellement admise. Toutefois la plus grande partie de la nation n’éprouvait pas pour eux, il faut bien le dire, les mêmes sympathies. Les événemens extraordinaires qui ont amené contre toute prévision l’émancipation des esclaves du sud et les ont ensuite appelés à tous les droits politiques ont eu pour première conséquence la création dans chaque ville d’un bureau des affranchis, et ces bureaux, organisés avec la promptitude et l’entrain merveilleux qui président en Amérique à toutes les entreprises d’un grand intérêt national, ont immédiatement porté leurs soins sur l’établissement d’écoles de garçons et de filles pour les enfans de couleur.

Le 1er janvier 1863, jour mémorable dans les annales de l’Union, le président Lincoln proclama l’émancipation des esclaves dans tous les districts du pays révolté contre le gouvernement des États-Unis. Le 22 du même mois, une loi établissant un comité d’émancipation fut portée à la chambre des représentans. Avant que l’attention du congrès eût été appelée sur ce point, un grand nombre d’associations privées s’étaient formées dans les divers états pour venir au secours des affranchis. Des multitudes d’hommes, de femmes et d’enfans fuyant l’esclavage s’étaient mises à la suite des soldats du nord, imploraient leur secours et leur offraient leurs services. M. Pierce, du Massachusetts, courait à Washington et plaidait avec éloquence la cause des réfugiés, demandant qu’on leur assurât du travail et qu’on les préparât à la liberté par l’éducation. Des milliers de voix répétèrent cette ardente invitation à la générosité publique. Tandis que tous les jeunes gens étaient enrôlés sous les drapeaux, des femmes courageuses coururent aux armées et apportèrent à leurs maris, à leurs frères, à leurs fils, le concours de leur dévoûment. Elles établirent et dirigèrent sur le théâtre de la lutte des hôpitaux et des ambulances, et n’oublièrent pas les pauvres esclaves dont la guerre brisait les fers, mais auxquels il fallait assurer des moyens d’existence. Ce fut encore les femmes qui répondirent avec le plus d’empressement à l’appel qui fut fait au zèle des maîtres, et vinrent diriger les écoles fondées pour les enfans de couleur dans les