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séparation offrait de nombreux inconvéniens. Les murs ont été abattus, les élèves réunis, et les inconvéniens ont disparu.

J’ai réservé pour la fin l’objection la plus forte que l’on ait coutume de faire contre l’éducation mixte, — le danger de voir des promesses de fiançailles s’échanger entre élèves à un âge où ils semblent bien peu mûrs pour disposer de toute leur vie ; cette éventualité n’effraie nullement, à ce qu’il paraît, les parens. Les élèves ont vécu ensemble pendant plusieurs années et trouvé mille occasions de s’apprécier mutuellement, de connaître les qualités et les défauts de leurs jeunes camarades. Il est assez naturel que, se rencontrant plus tard dans le monde, ceux qui ont éprouvé l’un pour l’autre quelque sympathie s’en souviennent, et se recherchent pour unir leur destinée. La question est de savoir si ce sont là des conditions peu favorables pour assurer des unions heureuses et bien assorties. Quand on sait dans quelle faible proportion les parens américains interviennent dans le mariage de leurs enfans, laissés entièrement libres de leur choix,.on conçoit qu’ils ne se préoccupent pas outre mesure d’une situation qu’ils savent être partout ailleurs absolument la même que dans le village d’Oberlin. Enfin, disent les directeurs des grandes institutions mixtes, tout compte fait, les unions entre les jeunes gens et les jeunes filles qui se sont connus dans ces écoles ne sont pas plus nombreuses que celles qui ont lieu entre des jeunes gens élevés loin les uns des autres.

On comprendra parfaitement au reste comment le contact journalier des jeunes gens et des jeunes filles, non-seulement à l’école, mais encore dans le monde, n’offre aucun danger en un pays où ces relations sont placées sous la sauvegarde des mœurs publiques et des lois. Partout où domine le principe d’autorité, le sentiment dont s’inspirent les législateurs est la défiance. De là ce luxe de précautions contre des abus considérés comme inévitables, de là cette surveillance minutieuse à laquelle sont asservis tous les actes de la vie. Chez les peuples libres, le point de départ de toutes les institutions est le sentiment contraire : le mal ne s’y suppose pas ; on ne cherche pas à en garantir la société par des mesures préventives : on se contente de le punir lorsqu’il se produit. C’est en vertu de ces principes que les jeunes filles d’Amérique jouissent de bonne heure de la plus grande liberté. On n’attriste pas leurs âmes en y versant la défiance et la crainte, en les habituant à considérer. les jeunes gens comme des ennemis toujours disposés à abuser de leur faiblesse ; on ne les force point à composer leur visage, à refouler dans leur cœur les sentimens les plus innocens. Elles grandissent au sein d’une sécurité complète, et lorsque les progrès de l’âge et de la raison leur ont fait comprendre la nécessité