Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Autre danger : ne doit-on pas craindre de voir s’altérer, dans une réunion où chaque sexe devra nécessairement exercer sur l’autre une grande influence, le caractère distinctif de chacun d’eux ? Ne verra-t-on pas les jeunes filles prendre la rudesse de manières, le laisser-aller et le sans-gêne des garçons, ou ceux-ci devenir mous, efféminés et frivoles ? L’expérience prouve le contraire. D’un côté, la présence des jeunes filles n’inspire aux jeunes gens que des sentimens généreux, un esprit chevaleresque. Quant aux jeunes filles, la délicatesse, la grâce, l’élégance, qui leur sont naturelles, se perdraient bien plutôt loin de la présence de ceux dont la vue contribue le plus souvent à développer les meilleures tendances de leur nature. C’est dans l’isolement et dans des conditions exceptionnelles que se forment les viragos et les amazones ; c’est dans la vie commune que naissent et se manifestent les qualités sociales.

Toutes ces considérations s’effacent devant la plus grave de toutes, devant celle des mœurs. Comment se figurer qu’il n’y ait pas plus d’un danger à redouter pour les jeunes filles dans ces rapports journaliers avec les jeunes gens dont elles partagent les études ? Réunis dans les mêmes classes, souvent sous le même toit, comment les uns et les autres pourraient-ils échapper à ces attractions puissantes qui dans les jeunes âmes servent de point de départ à la plus irrésistible des passions humaines ? Ici encore le fait pratique répond hardiment à la théorie : « Vous avez tort ! » Ces attractions sont bien plus impérieuses lorsque les jeunes gens et les jeunes filles vivent chacun dans un monde à part, et ne connaissent que ce que leur apprennent les uns sur les autres les rêves de leur imagination. Accoutumés à se voir de près depuis l’enfance, à vivre côte à côte, comme les enfans dans la maison paternelle, ils ne s’abandonnent point à ces sentimens romanesques, bien plus prompts à éclore chez ceux qui n’ont pas sous les yeux le spectacle de la vie réelle. Ils sont maintenus dans les limites de la convenance et du respect, et ce qu’ils pratiquent avant tout, c’est la confraternité qui naît de communes habitudes studieuses. Est-ce à dire que les directeurs, les directrices, les professeurs, se croient autorisés à s’endormir dans une fausse sécurité et à négliger toutes les précautions qu’exige la prudence ? Non sans doute ; mais il y a un juste milieu entre une indifférence aveugle et une surveillance tracassière et soupçonneuse, de même qu’il y a un juste milieu à prendre entre la liberté sans contrainte et la séquestration absolue. L’exemple de quelques établissemens peut servir à résoudre une question si controversée. Il existait depuis bien des années dans l’est des États-Unis des maisons d’éducation ouvertes aux jeunes gens des deux sexes ; mais on avait eu soin de les tenir entièrement séparés. On s’est aperçu que cette