Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’isolement ni le silence. Elle fait encore quelque bruit dans le monde, elle en reçoit, l’écho, et songe, dit-on, avec quelques amies, à soulever dans les universités un grand mouvement catholique. Ainsi s’écoulent dans le clair-obscur d’une retraite batailleuse les derniers jours de cette femme qui depuis près de trente ans occupe l’Allemagne de sa personne et de ses écrits. Avec ses affectations féodales, les grands airs désespérés de ses débuts et la transfiguration de la fin,.Mme de Hahn n’est guère de notre temps, et les contemporains de Mme de Krüdner l’eussent sans doute comprise mieux que nous ; mais par l’influence qu’elle a exercée, par les tendances qu’elle représente, elle a sa place marquée dans la chronique littéraire de son pays. Elle s’est éloignée du monde, elle a bien fait, car sa réputation décroît déjà, et sa gloire s’évanouit. Singulier retour des choses d’ici-bas, ce qui restera le plus longtemps de cette femme si dédaigneuse du vulgaire, c’est une petite romance d’un sentiment simple, qu’elle a écrite on ne sait comment, qui est devenue populaire, que les garçons chantent à leurs fiancées, que les fillettes fredonnent et dont les mères bercent leurs enfans : « Si tu étais à moi, combien tu me serais cher !… »

Ach, wenn du wärst mein eigen
Wie lieb sollt’st du mir sein !…


II

Mme Lewald est bien de notre temps. C’est un bel esprit doublé d’un esprit fort. Elle est Juive de naissance, et on l’a comparée souvent à sa coreligionnaire Rahel. Il y a sans doute entre elles plusieurs traits de ressemblance, mais des traits généraux seulement et qui viennent de la race ; un sens critique très aiguisé, de la pénétration, le talent d’analyse, une disposition à reproduire le côté plastique des choses, de la force dans le caractère, un certain tour d’esprit tendu et affecté, par-dessus tout un sentiment excessif de soi-même. Chez Rahel, une sensibilité vraie et de la chaleur d’âme tempéraient cette âpreté native d’amour-propre. Par le côté affectueux et ému de sa nature, elle restait toujours femme et savait toucher. Mme Lewald, en ses écrits, voudrait dépouiller entièrement son sexe. Elle n’en garde que ce qu’elle n’en peut quitter. Il y a là un parti-pris, et elle s’en vante. C’est une personne très intelligente, parfaitement sincère, correcte, rigide même parfois, généreuse de sentimens, ardente au bien, passionnée pour ce qu’elle croit le vrai, qui s’est beaucoup appliquée à apprendre, a réellement appris beaucoup, pense avec fermeté, dit nettement ce qu’elle pense, mais s’en montre peut-être un peu trop satisfaite. Il n’est pas