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la grâce, elle est reine par sa puissance sur les cœurs ; elle veut I’affranchissement éternel, inépuisable, elle le veut à tout prix, et abandonne hommes et attachemens qui ne le lui assurent pas… Elle consume de sa flamme d’autres d’abord, elle-même ensuite. L’essence de son être est une fine quintessence d’égoïsme. » Voilà le mot dit, il est vrai et fait juger le personnage. Ce n’est rien de plus, et il ne faut point chercher autre chose au fond de ces efforts ambitieux « vers un développement et un affranchissement incompris. » Un dernier trait, c’est ce roman que Mme de Hahn dédiait, dans les termes que l’on connaît, au baron de Bystram.

« C’est une absolue perfection et comme divine, dit Montaigne, de savoir jouir loyalement de son estre. » Mme de Hahn, qui cite volontiers notre moraliste, aurait bien fait de méditer cette pensée. Peut-être eût-elle ainsi épargné plus d’une traverse à ses héroïnes, Toutes se ressemblent. Après Faustine, « l’égoïste sublime, » nous avons Sibylle, « à l’âme immense, mais vide, » et tant d’autres qui meurent à la peine. C’est partout l’agitation maladive d’une âme infatuée d’elle-même et qui trouve le monde vide parce qu’elle n’y sait apercevoir que soi : pauvre ballon plein d’air que toute brise ballotte et roule, et qui se croit un météore errant parmi les sphères. C’est aussi la même tournure de récit, délayé, trop souvent décousu, plein de recherche dans la pensée et d’afféterie dans l’expression, mais avec de l’éclat parfois, de la chaleur souvent, des rencontres heureuses d’observation, le tout mêlé d’une certaine élégance native qui soutient le ton. Le souvenir de Simon plane sur ces romans et les éclaire au passage. Il y a des fragmens entiers, et ce ne sont pas les moins éloquens, qui sont, dit-on, extraits de ses lettres. La comtesse Hahn a publié des relations de voyage qui présentent les mêmes qualités avec moins de défauts. La personnalité de l’auteur s’y accuse trop toutefois et fatigue à la longue. En résumé, de près ou de loin, qu’elle revête les déguisemens de la fiction ou se présente en personne, c’est toujours elle-même, ses rêves et ses divagations que Mme de Hahn nous raconte dans ses ouvrages. « Si j’avais trouvé autre chose qui remplît le vide de ma vie, je n’aurais jamais écrit, » disait-elle, et l’on s’explique ce mot caractéristique et naïf qu’on lui prête : « il n’y a pas d’auteur que j’aime autant à lire que moi. » Le succès sans doute avait sa très grande part dans cet apaisement et cette satisfaction, car les âmes si raides, si haut guindées sur leurs sentimens impénétrables, ne dédaignent point de se confier à cette foulé qu’elles méprisent en détail, et dont l’admiration collective devient pour elles une passion qui absorbe toutes les autres.

Cette passion fut satisfaite chez Mme de Hahn ; on l’admira prodigieusement. Elle eut son public, et le plus singulièrement mêlé.