Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans doute que la modestie n’est faite que pour les âmes vulgaires. Le trait est fréquent parmi les femmes de cette sorte. Rahel Levin n’a-t-elle pas été jusqu’à dire d’elle-même : « Je suis aussi unique que la plus grandiose des apparitions humaines ! » On ne se met point aisément sur le ton de ces précieuses exaltées ; il faut pourtant les entendre quelquefois pour s’expliquer comment on a pu trouver de l’intérêt, de l’observation même dans des livres qui nous semblent, à nous, de l’extravagance pure. La comtesse et Henri Simon s’aimaient à leur manière ; mais le cœur était trop peu ’engagé entre eux, et tout ce bel échafaudage d’hyperboles devait s’écrouler sous le premier coup de l’orgueil. Henri Simon offrit sa main à Mme de Hahn ; il était démocrate, elle infatuée de sa noblesse ; elle refusa, et ils se séparèrent blessés profondément.

La lutte avait été rude pour la comtesse, si l’on en juge par la trace qu’elle laissa dans sa vie. Elle se réfugia près de l’ami fidèle, oublié sans doute et négligé pendant l’orage ; elle le retrouva toujours le même, prêt à la soutenir et à la consoler. Ce que dut être son dévoûment, quelques lignes de la comtesse permettent d’en juger. Elle les écrivit au sortir d’une cruelle maladie où elle avait failli perdre la vue ; c’est la dédicace d’un de ses premiers romans :


« A Bystram. — Depuis cinq mois, je languissais dans les doubles chaînes de la maladie et de la cécité ; depuis cinq mois, veillant sur moi sans te fatiguer jamais, tu m’as soignée et consolée, tu m’as exhortée au courage et à la tranquillité, tu as séché mes larmes, essuyé sur mon front la sueur de l’angoisse, tu m’as prêté tes yeux et tes mains. Si je n’ai pas succombé au désespoir, à l’accablement, à l’apathie, c’est à toi que j’en suis redevable. Aussi dois-je placer ton nom comme un diadème au front de ce livre. Peut-être sera-ce ce qu’il y aura de meilleur. — 14 août 1840. »


Ils avaient voyagé d’abord ; cela ne suffit pas : on remplace les passions, on ne les guérit point. Il fallait un aliment à l’ambition inquiète qui avait toujours agité la tête de la comtesse. La gloire la tenta, elle se fit auteur. On connaît le mot de Goethe : « une idée vous tourmente, faites-en un poème. » Mme de Hahn était prodigieusement tourmentée sans doute et le fut longtemps, car, une fois qu’elle eut commencé d’écrire, elle ne s’arrêta plus. Elle se décrivit sous toutes les formes et refit son existence. Elle est le centre de tous ses romans, et l’on retrouve dans chacune de ses héroïnes quelque trait de son propre caractère développé à outrance et grossi sans mesure. Les contradictions ne l’embarrassent point. Elle était aristocrate dans l’âme, elle avait souffert cependant plus que personne des préjugés de sa caste ; elle invente une société à elle, raffinée et