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atteignit ainsi sa vingt et unième année, agréable sans être jolie et plus sympathique pour qui l’approchait souvent que séduisante au premier abord. Sa famille crut assurer son bonheur en la mariant à un de ses cousins. C’était l’union la moins assortie du monde ; elle dura trois ans à peine. Les deux époux divorcèrent en 1829.

Alors commença pour la jeune comtesse une existence nouvelle, libre, remuante, variée et telle qu’il la fallait pour occuper son âme inquiète. Placée dans le cercle aristocratique qui convenait à sa nature, elle brilla promptement dans le monde en même temps qu’elle achevait de s’y développer. Elle trouvait près de sa mère un asile assuré : elle s’y réfugia d’abord et y revint toujours dans l’intervalle des voyages incessans où l’entraînait sa fiévreuse activité. Elle n’était pas isolée d’ailleurs ; elle avait rencontré déjà et su retenir l’ami et le compagnon que la mort seule devait séparer d’elle, le baron Frédéric de Bystram. Chevaleresque et tendre, il alliait à la culture des hommes distingués de son temps une certaine tendance enthousiaste et mystique qui rappelait les anciens âges. On a critiqué souvent et mis en doute les attachemens sans réserve et les dévoûmens absolus que Mme de Hahn s’est plu à décrire dans ses livres. Ce qu’elle y présente sous des couleurs si peu réelles, elle l’éprouva pourtant. Frédéric de Bystram lui voua cette sorte de culte attentif et ému qu’exaltent ses héroïnes ; il conserva pour elle cette religiosité d’admiration qui convient aux demi-talens guindés et impérieux. Les premières poésies de la comtesse datent de cette époque ; un enthousiasme un peu confus est la note dominante de ces essais, qui ne parurent que plus tard. Mme de Hahn n’avait pas encore reçu l’impulsion qui devait décider de la direction de son esprit pendant la première période de son existence.

La transition ici serait délicate. Nous avons sous les yeux une biographie récente de la célèbre romancière[1] : c’est l’œuvre d’une amie et d’une admiratrice à la fois très sincère et très complaisante ; laissons-la parler. « Ce phénix de bonheur, raconte-t-elle, durait depuis cinq ans environ ; aimée et respectée de Bystram comme peu de personnes de son sexe le furent jamais, la comtesse voyait, ainsi que dans un mariage heureux et entièrement pacifique, les douces ailes de l’habitude s’étendre sur la possession de son bonheur, lorsque parut à son horizon une figure d’homme si grande et si puissante que son ciel, ne fût-ce qu’un instant, en devait être troublé. Il suffira de nommer celui qu’un amour passionné entraîna vers la comtesse pour que l’on comprenne combien irrésistible fut la force

  1. Gräfin Ida Hahn-Hahn, ein Lebensbild nach der Natur geseichnet (la comtesse Ida Hahn-Hahn, portrait biographique dessiné d’après nature), von Marie Hélène, Leipzig 1869.