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était fille de ce comte Frédéric de Hahn-Neuhauss à qui son existence aventureuse fit au commencement de ce siècle une certaine réputation en Allemagne. Goethe nous a peint dans Wilhelm Meister quelques-uns de ces singuliers dilettanti qui unissaient à leur passion pour le théâtre le goût des aventures et certaines velléités de rénovation sociale. Le comte de Hahn mériterait une place à part parmi ces « bohèmes » de haute volée, comme on dirait aujourd’hui. Il commença par jouer le prince, et finit par conduire une troupe ambulante. L’éclat que jetaient alors quelques petites cours allemandes, entre autres celle de Weimar, l’avait sans doute fasciné. Il y a de ces visées sans mesure au début de presque toutes les vies manquées. Le comte de Hahn aimait à s’entourer de comédiens ; son accueil et sa prodigalité les attiraient à lui et les retenaient ; il présidait lui-même à leurs répétitions, et les représentations de gala se préparaient au milieu des fêtes. On se figure aisément ce que devenait la vie de famille dans une pareille demeure. La comtesse était la plus simple et la meilleure des femmes, la moins préparée aussi aux épreuves d’une pareille existence. Trompée dans ses espérances de bonheur domestique, étourdie par le tourbillon où elle se trouvait précipitée, elle se plongea dans une douleur silencieuse. Laissant le comte poursuivre sa passion bizarre, elle se retirait avec ses enfans dans la petite ville de Rostock, où elle mena l’existence la plus modeste.

Ida était l’aînée de la famille. Avec les facultés mieux équilibrées peut-être, elle avait pourtant hérité de son père l’impatience d’agir et une indépendance impétueuse de caractère. Elle y joignait un sens plus fin de la vie, un instinct plus relevé de la gloire, une sensibilité ardente, un tempérament artiste enfin qui, en la poussant à écrire, allait fournir un dérivatif régulier à cette ambition sans objet qui avait perdu le comte. Avec ce naturel, le milieu où se passa sa première jeunesse dut exercer sur son imagination précoce une influence marquée. Ce qu’elle entrevoyait de la vie de château, cette agitation tapageuse, ces fêtes, ces hôtes bizarres, éblouirent ses yeux et développèrent un penchant inné aux rêveries romanesques. Une scène éclairée par le faux éclat des lustres, tel est l’aspect sous lequel lui apparut le monde ; ces premières empreintes ne s’effacent jamais. Une éducation incomplète, moins négligée, à proprement parler, que dissipée en toute sorte de tentatives futiles, laissa cet esprit abandonné à lui-même sans l’étendre ni l’affermir comme il aurait fallu. On avait confié la jeune fille à un pasteur de campagne indifférent et incapable, un de ces pauvres docteurs si profondément enfouis dans leur théologie qu’ils n’aperçoivent plus Dieu. Ida ne garda de ses leçons que l’impression d’un ennui desséchant. Elle