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résolution qu’il manifestait souvent de renoncer à la vie de cour. Plus jeune et moins désenchantée que son mari, lady Cowper se résignait bien à lui faire le sacrifice du rang où elle avait été élevée, et qu’elle lui devait en partie ; mais on voit que cette vertueuse résolution lui coûtait plus d’un regret, fort concevable après tout, et, pour les gens doués d§ quelque expérience, cette situation délicate, cette lutte du devoir contre les penchans, les intérêts personnels, constitue un drame complet, plus émouvant dans sa réalité que la plupart des combinaisons auxquelles le romancier et l’auteur dramatique demandent leurs succès ordinaires.

Nous indiquons ici un seul des aspects par lesquels nous avons été frappé ; nous pourrions recommander encore, comme étude à suivre d’après le Journal, celle du caractère de l’auteur : un curieux mélange de souplesse et de fierté, de bonhomie et de malice, de droiture et de savoir-faire. Ce caractère ne se livre pas tout d’un coup ; il se révèle peu à peu, note par note, jour par jour, à la façon des traits que le miniaturiste reproduit par mille menus retours de pinceau sur l’ivoire longuement caressé. Cette dame de cour a ses momens de susceptibilité bourgeoise, ses préoccupations du qu’en dira-t-on, ses haut-le-corps révoltés, suivis de concessions réfléchies. Tout cela, mêlé aux détails intimes donnés sur quelques incidens secondaires, mais mal connus, peut, ce nous semble, tenir lieu d’une action suivie et d’un intérêt purement narratif, à la condition cependant qu’on ne se méprenne pas sur les qualités fort diverses du roman et de l’autobiographie, et qu’on ne demande pas à celle-ci l’habile distribution, l’intérêt savamment gradué, qui sont l’apanage de la fiction. Le faux est ce qu’il veut, la vérité ne sera jamais que ce qu’elle peut être. Il faut donc l’aimer pour elle-même. Reprenons maintenant notre tâche, un moment interrompue par des explications que motive la nouveauté de notre entreprise, et rappelons en peu de mots les événemens de l’année 1716, auxquels vont faire allusion les notes du Journal que nous abrégeons.

Ainsi que nous l’avons déjà vu, cette année mémorable fut tristement inaugurée par les supplices qui donnaient le baptême de sang à la dynastie hanovrienne. Elle vit ensuite se produire une des plus graves modifications constitutionnelles qui aient réglé le mouvement de l’organisme parlementaire. Depuis l’année 1694, la durée de chaque législature était restée fixée à trois ans. Sous le coup des pressantes nécessités que lui faisait l’insurrection de 1715, l’administration whig, ayant à redouter le résultat des élections alors imminentes, fit abolir le bill triennal. Ce bill avait été voté en mémoire et en haine du despotisme de Charles II, qui, dix-sept années durant, avait gouverné avec la même représentation des communes,