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sées, et qui, uniquement préoccupés d’eux-mêmes, ne poursuivent que des buts de satisfaction et de fortune personnelle ; c’est là un genre de travail dont on ne se décourage guère quand une fois on s’y est adonné. À côté de ces égoïstes opiniâtres, les hommes qui ont au contraire des convictions fortes et qui cherchent le triomphe d’une cause plus grande qu’eux-mêmes, ceux-là aussi supportent patiemment les difficultés, les tristesses, les mauvais jours de leur œuvre, et retrempent sans cesse leur espérance dans leur foi. Tels doivent, tels peuvent être les vrais et sérieux chrétiens. Personne n’est plus convaincu que moi de la gravité de la crise que traverse aujourd’hui le christianisme ; je sais toute l’ardeur et tout le péril des attaques dont la foi chrétienne est l’objet, en haut, dans un certain nombre d’esprits distingués, en bas, dans les masses ignorantes et déréglées ; mais le christianisme n’est pas d’aujourd’hui, il vit depuis dix-neuf siècles. Que dis-je, dix-neuf siècles ? Les siècles ne se comptent pas pour le christianisme ; sa source est infiniment plus ancienne que son nom ; c’est avec l’histoire du peuple juif que commence l’histoire chrétienne ; l’Ancien-Testament est la préface et la préparation du nouveau. Le monde a d’abord longtemps attendu, puis il a vu apparaître, puis il a commencé à recevoir et à contempler partout le christianisme. Les mêmes attaques, les mêmes périls qu’il rencontre aujourd’hui l’ont assailli dès sa première origine et dans tout le cours de sa destinée ; tantôt la tyrannie, tantôt l’insouciance et le relâchement moral de ses représentans officiels lui ont été encore plus funestes que les coups de ses adversaires. Il a résisté et survécu aux violences des uns et aux fautes des autres. Il n’est pas autre aujourd’hui, il ne sera pas autre désormais qu’il n’a été jadis. Ses nouveaux adversaires n’ont et n’auront pas plus d’érudition que Bayle, ni plus d’esprit que Voltaire, ni plus de passion que les révolutionnaires de 1793 : ils ne réussiront pas plus à le détruire que n’y ont réussi leurs prédécesseurs. Le christianisme a fait ses preuves de patience comme de force, de flexibilité comme de vitalité. Il aura de plus, il a déjà, pour se défendre et pour vaincre, une arme assez nouvelle dans son histoire, la liberté, la liberté de ses adversaires et la sienne propre ; l’une ne lui permettra pas de s’endormir dans l’ignorance du danger ; l’autre le mettra en possession de tous ses moyens de résistance en les dégageant de toute apparence de force abusive et de privilège autorisé. J’ai, dans la situation actuelle du christianisme et au milieu de ses périls, cette confiance que la liberté lui épargnera beaucoup de ses anciennes fautes, en lui donnant plein droit de se manifester dans la sublimité de son origine et de sa nature.

J’incline à penser que M. Janet lui-même pressent cette forte et solide destinée de la religion chrétienne, car, après avoir librement