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vieilles animosités et des vieux combats. Elle est un appel à la paix et à l’émulation dans une vie nouvelle. C’est de cette façon que l’amnistie du 15 août est un acte sérieux, opportun, à l’appui des réformes libérales qui se préparent et du sénatus-consulte qui s’élabore. — Que d’un autre côté ce sénatus-consulte lui-même reste encore livré à bien des interprétations, qu’il ait grandement besoin d’être éclairci et commenté, même après le rapport de M. Devienne, surtout après ce rapport, qu’une ample et franche discussion soit nécessaire pour rendre à l’acte constitutionnel proposé au sénat toute sa valeur, ce n’est certes pas douteux. M. Devienne, dans sa carrière de magistrat et d’homme politique, avait donné plus d’une fois des marques d’une intelligence élevée ; il avait de la mesure et de la finesse. Il passait, il y a quelques jours encore, pour avoir porté un esprit assez libéral dans la discussion des réformes nouvelles au sein de la commission sénatoriale. Il n’a pas eu de bonheur, son libéralisme s’est égaré en route, sa netteté s’est quelque peu embrouillée, et son rapport est une déception. Le libéralisme de M. Devienne est en vérité résigné et plaintif ; il semble surtout, peu convaincu, et fait sans enthousiasme la part des nécessités du temps. Chose assez curieuse, dans un rapport sur les réformes libérales, M. Devienne commence par le tableau peu flatteur de nos mobilités d’après César, et il finit par l’apologie du gouvernement personnel ; ce n’est même que dans cette apologie qu’il retrouve une certaine chaleur, presque du lyrisme. Il y a peu de jours, dans un banquet à Versailles, M. Baroche parlait encore du « glorieux gouvernement fondé en 1852. » La péroraison du rapporteur du sénat n’est que la complaisante amplification de cette parole. C’est l’inventaire de tout ce que le régime de 1852 a fait pour le pays. Donc, au dire de M. Devienne, le gouvernement personnel a donné à la France seize années de paix publique, de nouveaux territoires, une fortune mobilière accrue de vingt milliards, un commerce triplé, six mille sociétés de secoure, des villes assainies, des télégraphes, des chemins de fer, — plus enfin une armée de 1 million 400,000 soldats. Fort bien ! Le gouvernement personnel a comblé la France de prospérités ; il lui a donné ce que le rapporteur du sénat énumère et d’autres choses qu’il omet dans son enthousiasme. Seulement, si le gouvernement personnel a réalisé tant de grandeurs et s’il est apte à en réaliser tant d’autres, comment se fait-il qu’il soit à bout de force, qu’il en vienne à être obligé d’abdiquer, et qu’il charge M. Devienne de faire son testament devant la France et devant le monde ? Le pouvoir personnel, laissons de côté son passé, si l’on veut, il a son histoire ; mais ne voit-on pas aujourd’hui même par un exemple singulièrement saisissant ce qu’il laisse de précaire dans la vie du pays ? il suffit d’un bruit inquiétant, venu on ne sait d’où, sur la santé de l’empereur, pour que tous les intérêts s’ébranlent, pour que le marché des valeurs publiques soit pris d’incroyables frayeurs. Le moment n’est peut-être pas bien choisi pour relever un régime qui