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jusqu’aux plus infimes. De là un pandémonium kaléidoscopique qui, somme toute, a cet avantage de ne pas être ennuyeux. On a dit que c’était un charivari de pierres, cela vous produit plutôt l’effet d’une musique turque, bizarre, fantasque, glapissante. On n’en suit ni le dessin, ni L’harmonie, mais on entend la grosse caisse, le chapeau chinois et les cymbales. Pendant que nous écrivions, l’œuvre de M. Carpeaux subissait le plus ignoble des outrages. Une éponge imprégnée d’encre grasse et corrosive était violemment lancée sur le liane de la jeune bacchante. Les pores de la pierre ont absorbé l’encre, et la tache restera peut-être ineffaçable. Appeler vandalisme de pareils actes, c’est calomnier même la barbarie, qui du moins frappe en aveugle, et, renversant, mutilant, ne souille pas. Érostrate, Basile, ou simplement Gavroche, le misérable qui s’est nuitamment rendu coupable de cette vilenie aura toujours cette satisfaction de pouvoir se dire dans son remords qu’en insultant l’œuvre il a d’un seul coup rallié à l’auteur toutes les sympathies. La controverse effervescente, les grandes indignations de l’esthétique et du puritanisme ont à l’instant désarmé. Fautes de goût et de mesure, incorrections, défaillances de style, la tache immonde a tout couvert, tout racheté. Elle a fait rayonner l’œuvre en déplaçant le point de vue ; on n’en voulait constater que les défauts, on n’en saisira plus maintenant que les qualités supérieures ; originalité de conception, puissance du modelé, crânerie superbe dans le mouvement et le désordre ! Et chacun, détestant la main inconnue de l’insulteur et pris d’un juste retour d’estime pour le vaillant artiste, se dira qu’on ne blesse de la sorte que ce qui est vivant.

La commission des auteurs dramatiques s’amuse. Elle met sous séquestre les droits acquis à M. Richard Wagner et prélevés sur les représentations de Rienzi, cite à sa barre les directeurs de théâtre, et fulmine contre eux des interdits qui ne les empêchent pas de mener leur fiacre. C’est toujours une grave faute d’aller jusqu’au bout de son droit quand on n’a pas en main la force nécessaire pour le faire exécuter. Grégoire VII avait porté la puissance pontificale à une hauteur d’où il lui était donné, non pas seulement de prononcer sur les affaires de conscience, mais de régler d’un mot le destin des empires. Pie IX connaissait probablement ce droit, mis en pratique maintes fois par ses terribles prédécesseurs. S’il ne l’a pas exercé contre Victor-Emmanuel, c’est qu’il prévoyait que le roi d’Italie n’était point homme à venir pendant trois jours traîner ses pieds nus dans la neige et mendier sa grâce à la porte du château de Canossa. Je cite là de bien grands exemples ; mais une commission d’auteurs habitués à dramatiser les idées doit aimer qu’on lui parle le langage de l’histoire. Soyons sérieux, et causons des Folies-Dramatiques. Le directeur de ce charmant théâtre où vécut Chilpéric, où régna l’Œil crevé, où le Petit Faust tient son école, M.