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et, quand il cesse de chanter, ne sait plus comment occuper la scène. Après le fameux restez ! du second acte, Mme Carvalho et lui s’arrêtent court, et ce n’est pas un spectacle médiocrement comique de voir ce héros et cette amazone, au paroxysme de la passion, se croiser ainsi les bras sur une ritournelle. La voix de M. Colin, délicieuse dans les adagios, ne veut pas être forcée : elle le peut cependant par occasion, comme il lui arrive dans le trio et la strette de bravoure de la cavatine immortalisée par Duprez, mais ce sont là des momens suprêmes où la voix de M. Colin, tout en suffisant à l’énorme tâche, laisse voir qu’elle n’a point de dessous, de vires in posse, ce qu’un chanteur qui se ménage ne doit jamais faire ; comme on dit, elle montre la corde. Je n’ai point à prophétiser quelle résistance cette voix saura opposer aux exigences du grand répertoire. Les ténors durent ce qu’ils peuvent, et c’est probablement pour cela qu’on les paie si cher. Quoi qu’il en soit, en voici un plein de grâce et de gentillesse. Le suave cantabile du duo du premier acte : « O Mathilde ! » ne fut jamais mieux dit. A la reprise du motif, quand la phrase hausse d’un ton, vous saisissez peut-être quelque tension, une ombre d’effort ; mais au début c’est d’une clarté, d’une fraîcheur à vous ravir d’aise.

Privilège singulier de la voix de ténor, bien décidément la première, et qui au théâtre prend le pas sur le baryton, comme à l’orchestre le violon règne sur l’alto : il lui suffit de se montrer pour que tout s’éclipse autour d’elle. Le rôle de Guillaume, à dater d’aujourd’hui, rentre au second plan. Le soir de la première représentation, plusieurs avaient peine à s’expliquer cet effacement, qu’ils attribuaient à quelque mauvaise disposition de M. Faure. Erreur ! M. Faure n’avait point fléchi le moins du monde, et reste le virtuose parfait, quoique surabondant, que nous avons toujours connu et apprécié. Ses avantages comme ses défauts sont les mêmes ; il récite d’un style superbe le magnifique andante de l’introduction, et son chant serait sans reproche, n’était cette fâcheuse habitude de chercher toujours à prévaloir dans les ensembles, de tirer à soi dans le trio en étouffant le pianissimo du ténor : « je ne te verrai plus, » de constamment ouvrir le son, comme dans cette fin de vers qui veut être brusquement enlevée, et qu’il perpétue avec une complaisance indéfinie :

Nos frères sur les eaux s’ouvrent avec leurs rames Un chemin qui ne trahit pas !


Quant au tragédien, je maintiens ce que j’ai dit de lui dans le temps, trop d’emphase, de mots soulignés. C’est bien décidément le Guillaume Tell de M de Jouy se mouvant et se drapant. — Quel dommage que Rossini n’ait pas davantage tenu compte du drame de Schiller ! A partir de la fin du second acte, la pièce ne va plus qu’au hasard, et la musique se ressent un peu de ce décousu. Il semble que le style baisse pour ne