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pareil langage était fait pour ôter tout espoir à ces misérables femmes ; mais, tant qu’elles ne nous crurent pas mariés, elles continuèrent à harceler mylord de leurs importunités, auxquelles il ne put mettre un terme qu’en m’avouant pour sa femme. Encore eut-il quelquefois de leurs lettres, même après cela. On voit si j’étais autorisée à m’entremettre pour empêcher mistress Kirk d’être admise au service de la princesse.

18 décembre. — Après avoir eu lord Halifax à dîner, je suis allée voir les trois petites filles de son altesse, qui sont réellement de petits prodiges, plus particulièrement la princesse Anne, qui, à peine âgée de cinq ans, parle, lit, écrit en perfection l’allemand et le français, sait beaucoup d’histoire et de géographie, s’exprime très joliment en anglais, et danse à merveille[1].

22 décembre. — Mistress Danvers, jadis habilleuse de la feue reine, s’étonne, à ce qu’il paraît, de la liberté avec laquelle je parle de sa majesté. — Je lui ai fait répondre par sir David Hamilton, porteur de ce beau message, que, si je parlais librement de sa majesté défunte, mistress Danvers n’avait point à s’en offusquer, vu que je m’exprimais en fort bons termes sur le compte des personnes qui l’ont fait mourir à petit feu. Femme d’esprit et femme d’intrigue, mistress Danvers, après nous avoir comblés d’amitiés, nous laissa là, mylord et moi, lorsque les sceaux furent ôtés à mon mari ; un de nos amis lui fit remarquer qu’on s’étonnait de ne plus la voir chez nous, sur quoi elle répondit « qu’elle avait autre chose à faire. » En revanche, quand nous vînmes nous réinstaller dans Lincoln’s Inn Fields, cette honnête personne, nous voyant en bons termes avec le pouvoir et voulant profiter de ce qu’elle est ma proche voisine, me fit déclarer qu’elle comptait me voir assidûment et ne plus sortir de chez moi. Je pris la balle au bond pour la remercier de ses bienveillantes intentions, en lui déclarant à mon tour que je n’en pourrais profiter, ayant par malheur autre chose à faire.

Parvenue par le crédit de lady Masham à installer sa fille comme habilleuse de la reine, elle l’a mariée en temps utile à un évêque irlandais dévoré d’ambition qui crut faire sa fortune en s’affublant de cette petite fée, laide à plaisir. Il court sur le compte de ce révérend prélat de bonnes histoires. On raconte qu’après un baptême il recueillit l’eau restée dans les fonts, et en fit hommage à la maîtresse du logis en la lui recommandant comme un remède souverain contre les ophthalmies. Une autre fois, ayant traité magnifiquement, en épicurien qu’il est, un officier de marine, il lui proposa de lui montrer sa bibliothèque. L’autre rechignant quelque peu : — Venez, venez, lui dit l’évêque, je ne serai pas fâché d’avoir

  1. Elle épousa depuis le prince d’Orange. Le feu roi de Hollande était son petit-fils.