Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
REVUE DES DEUX MONDES.

moyenne entre les diverses églises chrétiennes ; c’est un minimum de christianisme dont il se contente pour échapper au rationalisme. Qu’est-ce donc qu’une telle foi sinon une philosophie ? »

M. Janet se méprend sur ce que j’ai pensé et voulu faire quand j’ai placé cinq dogmes fondamentaux en tête de mon apologie du christianisme. Je n’ai point entendu réduire à cinq dogmes la religion chrétienne, ni les prendre « comme une moyenne entre les diverses églises chrétiennes, » ni écarter les autres dogmes que rappelle M. Janet, la Trinité, le Saint-Esprit, la présence réelle, la grâce, la justification par la foi ou par les œuvres. J’ai uniquement voulu mettre en spéciale lumière, comme essentiels à la foi chrétienne, les dogmes communs à toutes les communions chrétiennes, et sur lesquels il n’y a entre elles à peu près point de dissentiment. Je m’en suis formellement expliqué d’avance en disant : « Au moment où les fondemens de l’édifice chrétien sont ardemment attaqués, je voudrais rallier dans sa défense commune tous ceux qui l’habitent, catholiques ou protestans, anglicans ou presbytériens, calvinistes ou armemens, jésuites ou jansénistes[1]. » J’ai parlé des croyances qui les unissent sans méconnaître ni discuter celles qui les séparent. Je n’ai voulu faire et n’ai fait en cela que ce qu’ont fait en 1848, dans la vie politique, des hommes très divers par leurs opinions constitutionnelles, mais qui, pour défendre ensemble l’ordre social menacé, se sont ralliés alors à la république, « comme à la forme de gouvernement, a dit M. Thiers, qui nous divise le moins. » J’ai fait simplement, comme eux, acte d’esprit pratique et de bon sens.

C’est un rude métier que de vouloir être envers ses adversaires à la fois conséquent et libéral, ferme en principe, large et doux dans l’application. J’ai toujours eu un sincère et sérieux désir de suffire à ce double devoir. Je n’y ai pas toujours réussi, ni dans la vie politique, ni dans la discussion philosophique. Je n’en recherche pas ici les causes. M. Janet me trouve incomplet et trop peu rigoureux en fait de dogmes chrétiens ; en même temps il me reproche d’être trop exigeant, de trop pousser le raisonnement à outrance en fait de doctrines rationnelles. « Pour M. Guizot, dit-il, tout protestant libéral est un rationaliste, tout rationaliste un panthéiste, tout panthéiste un athée. J’ai de la peine, ajoute-t-il, à me faire à cette méthode, qui consiste à toujours précipiter les gens dans l’erreur, et à les plonger de plus en plus, même quand ils essaient d’y échapper. Est-il donc si avantageux d’exagérer l’erreur, d’élargir l’abîme qui sépare les hommes ? Au lieu de chercher par où les autres pensent

  1. Méditations sur la religion chrétienne, t. Ier, p. 10.