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mistress Howard me prévient que ces dames se détestent cordialement, et que la princesse tient en profond mépris la favorite de son beau-père. Celle-ci, en me chargeant du livre en question, a dû vouloir faire montre de nos bons rapports, et me perdre ainsi dans l’esprit de ma maîtresse, ruiner mon crédit auprès d’elle. — Sans cela, poursuit mon informatrice, pourquoi ne pas faire porter son livre par la duchesse de Bolton ou la duchesse de Shrewsbury, avec lesquelles elle est au mieux ?… — Je tiens au reste de Piloti que cette dame est fille de la vieille Elisabeth de Meissingen, comtesse Platen, maîtresse du père de sa majesté, celle-là même qui fut cause de son divorce avec la malheureuse Sophie-Dorothée.

Aujourd’hui même la duchesse de Saint-Albans a été nommée groom of the stote[1], et la duchesse de Shrewsbury a pris son rang parmi les dames du palais au même titre que nous toutes.

15 novembre. — Après une indisposition qui a duré toute la semaine, je reprends mon service. La princesse m’a dit qu’elle avait lu l’exposé de mylord (celui dont j’ai déjà fait mention) et m’en a vivement complimentée. A la bassette, le soir, j’ai joué si petit jeu que cela m’a valu quelques railleries. J’en ai pris texte pour expliquer à ma noble maîtresse que je jouais par devoir, non par inclination, et que, avec quatre enfans à pourvoir, personne ne devait me blâmer en me voyant économe de leur futur avoir, moyennant que je ne fisse aucune épargne aux dépens des convenances de mon rang. Cette déclaration m’a valu ses éloges. — Le premier devoir d’une femme, m’a-t-elle dit, est de prendre soin de ses enfans.

Le docteur Clarke, notre éminent théologien, est venu ce matin offrir ses ouvrages à la princesse, qui paraît l’avoir en grande estime, et veut absolument lui faire accepter un évêché[2]. On a parlé devant son altesse, qui l’a fort désapprouvé, du projet formé contre la duchesse de Shrewsbury, qu’on voudrait attaquer devant la chambre des communes comme incapable, en qualité d’étrangère, de remplir aucune fonction auprès de la princesse de Galles. Lady Bristol intrigue à force pour être nommée hors rangau lieu et place de la duchesse de Shrewsbury. Jusqu’ici elle n’a obtenu que des refus. Chose étrange, cette dame m’a proposé de ruiner mistress Coke dans l’esprit de notre maîtresse en révélant ce qu’elle appelle « les désordres de sa conduite. » — A quoi j’objectais que,

  1. Ce titre, qui répond maintenant à celui de premier gentilhomme de la chambre, paraît ne convenir guère à une duchesse. Auprès d’une reine, il se confond avec celui de maîtresse de la garde-robe. L’étole (the stole) est une veste étroite, garnie de taffetas cramoisi et brodée anciennement de roses, de fleurs de lis et de couronnes. L’office de groom est d’ailleurs une sinécure absolue. (Voyez le Manual of dignities.)
  2. Samuel Clarke refusa toujours cet avancement et mourut recteur de Saint-James. Il refusa aussi à la mort de Newton la maîtrise des monnaies.