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vue ; elle est de ma connaissance, a-t-il répété cinq ou six fois au duc de Grafton[1]… Celui-ci ayant dit à quelle occasion je me présentais : — C’est avec plaisir, reprit sa majesté, que je la féliciterai de sa nomination. — Et je fus embrassée comme l’avait été la duchesse.

Une grave question d’étiquette a occupé tout notre temps. Il s’agissait de savoir si la princesse était tenue ou non de baiser la femme du lord-maire quand celle-ci viendrait faire sa cour. Les précédens étaient nombreux en faveur du pour et du contre ; mais, après avoir bien constaté qu’à un gala de la Cité la reine Anne n’avait point baisé la mayoress, on a décidé en dernier ressort que la princesse ne baiserait pas non plus.

29 octobre. — Pour voir défiler la procession annuelle du lord-maire, nous étions aux fenêtres de la maison d’un quaker, tout près et un peu au-dessus de Bow-Church. J’ai pensé laisser mes oreilles dans cet affreux tapage de tambourinades et de frénétiques hourrahs. La pauvre lady Humphreys[2] faisait assez triste mine au milieu d’une foule comme je n’en ai jamais vu, et on l’entendait crier à son page « de tenir bien haut la queue de sa robe, » ne voulant pas sans doute avoir à se reprocher la perte d’un des privilèges de la mayoralty. Une plaisanterie que brodaient à l’envi le roi et sa bru consistait à prétendre que le lord-maire avait loué pour les besoins de la solennité cette étrange compagne, et, désirant les bien convaincre du contraire, j’ai dû rappeler que mistress Humphreys était par alliance quelque peu cousine de la première femme de mon mari. On est ensuite tombé d’accord que, si la mayoress eût été empruntée ou louée, on l’aurait choisie de meilleur aspect et de plus haute mine.

30 octobre. — Anniversaire de la naissance du prince de Galles. La cour était splendide. La soirée s’est terminée par un bal dont le prince et la princesse ont inauguré les danses. Ma noble maîtresse a dansé en pantoufles[3] et fort bien, le prince mieux que pas un autre.

2 novembre. — M. de Bernstorff m’est venu voir. Je lui ai fort recommandé de faire nommer sir David Hamilton premier médecin, ce qu’il m’a promis. Je suis allée après cela porter à la princesse les Œuvres de Bacon qu’elle m’avait prié de lui procurer.

8 novembre. — Rendu à la princesse, de très bonne foi, un livre que Mme de Kielmansegge m’avait remis pour elle. Cependant

  1. Ce petit-fils de Charles II et de la duchesse de Cleveland était à ce moment un des lords of the bedchamber.
  2. La femme du lord-maire, sir William Humphreys. Il se distingua, quoique libéral, par ses rigueurs contre les pamphlétaires et les colporteurs de l’époque.
  3. On appelait ainsi les souliers sans talons hauts.