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laquelle je vais être placée une correspondance régulière, et que j’ai d’elle maintes et maintes lettres dont quelques-unes sont les plus affectueuses du monde. Après la mort de la feue reine (la reine Anne), et quand j’eus reçu la réponse de la princesse (Caroline d’Anspach) à mon compliment de condoléance, je lui écrivis pour lui offrir mes services, non sans ajouter que, parfaitement résignée à tout ce qu’il lui plairait de décider là-dessus, je ne m’offusquerais aucunement d’un refus. Son altesse me répondit que, la volonté de son époux devant primer la sienne, elle ne pouvait rien me promettre encore, mais que l’amitié du prince ne lui semblait pas devoir me faire défaut en cette occasion. Je pris ceci pour une honnête excuse, et pensai que les importunités dont son altesse était assaillie ne lui laissaient pas la liberté de me prendre auprès d’elle. Cette opinion me parut encore mieux fondée quand, après avoir été l’objet des distinctions les plus flatteuses, je vis, sans qu’on m’eût encore rien dit, désigner deux nouvelles dames d’honneur. Croyant que ma requête n’avait aucune chance d’être admise, je laissai les choses à leur cours naturel jusques au couronnement, qui eut lieu le 20 octobre 1714.

Je me rendis à cette cérémonie avec lady Bristol, qui désirait bien plus vivement que moi la charge de dame d’honneur, et l’avait briguée avec bien plus d’instances. Elle m’annonça que je serais nommée, se gardant bien toutefois de me dire qu’elle le tenait de la princesse elle-même. Arrivées dans Westminster-Abbey, nous trouvâmes les bancs des pairesses si bien garnis que j’en fus réduite, comme bien d’autres, à me faufiler jusqu’à celui des évêques, placé à côté de l’autel. Là, je m’assis sur le dernier rang, près des degrés de la chaire, et plusieurs dames survenues ensuite me frôlaient au passage pour aller encore plus avant. Survint lady Northampton, tirant après elle lady Nottingham, laquelle prit ma place de vive force et me contraignit ainsi de monter quelques marches de plus. Ces deux dames sollicitant à l’heure même, au vu et su d’un chacun, le gouvernement des jeunes princesses, je ne pus voir dans leur façon d’agir une impertinence préméditée. Peut-être cependant me regardaient-elles, très à tort, comme poursuivant le même emploi. Bref, sans le vouloir et par ce procédé un peu brutal, elles me procurèrent une des meilleures places de l’abbaye, en même temps une des plus en vue. Je n’oublierai jamais les sentimens qui s’élevèrent en moi pendant l’imposante cérémonie, et la joie que j’éprouvai à voir notre sainte religion, nos libertés, nos biens, sauvegardés et mis hors d’atteinte. Après le chant des litanies, lady Nottingham, se frayant un chemin parmi les gens placés devant elle, vint s’agenouiller ostensiblement en première ligne (ce que personne autre ne fit), et bien en face du roi. Chacun de