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d’Herrenhausen, et qu’effrayaient les dilapidations de Windsor. Il vint la larme à l’œil demander son congé. — Pourquoi me quitter ? lui dit le roi, familier avec ses gens. — Sire, on vole trop. — Beau scrupule en vérité ! va donc, nigaud ! repartit George en éclatant de rire. — L’amant de la Platen et de la Schulenburg ne pouvait en effet, descendant en lui-même, y trouver beaucoup de rigueur.

L’histoire, dans son indulgente équité, lui tient pourtant compte de certaines vertus royales, restées sans relief pour les contemporains faute de mise en scène et de grâce qui les fissent valoir, George Ier, nous dit-elle, avait de la droiture, de la sincérité ; il ne manquait ni du sentiment de l’honneur ni d’une certaine bienveillance naturelle. Fidèle à ses amitiés, il se souvenait mieux d’un service que d’une ingratitude ou d’un méfait. Son humeur était égale, ses penchans le portaient à l’économie. Un courage incontestable, une certaine connaissance des choses militaires, ne l’empêchaient point d’apprécier la paix ce qu’elle vaut. En somme, il aimait son peuple autant qu’il lui était donné d’aimer quelque chose ici-bas ; mais l’extérieur était gauche, l’attitude maussade : nul goût pour les pompes de la royauté, nulle intelligence des arts, — sauf de la musique, qu’il aimait comme tout bon Allemand. Les hommes politiques lui reprochaient, jointe à une obstination invincible, une compréhension très bornée des grands intérêts qu’il avait à mettre en balance. « Il a, disait lord Chesterfield, des vues, des affections limitées comme l’électorat d’où il nous vient. L’Angleterre est un trop gros morceau pour un esprit si étroit. » Ajoutez à ceci que, lors de son avènement, il avait cinquante-quatre ans passés, un âge où le pli est pris, l’ornière creusée, où les habitudes sont contractées, les dispositions immuables.

Il se méfiait de son fils, — dont il ne se croyait pas le père, s’il faut s’en rapporter à Saint-Simon, — et le tint toujours en suspicion presque haineuse. George-Auguste de son côté n’avait jamais pu pardonner à George-Louis la captivité où, depuis l’année 1694 s’éteignait lentement la malheureuse Sophie-Dorothée de Zell ; on raconte qu’il avait tenté d’arracher sa mère aux cachots glacés du château d’Ahlsen, et que cet acte de dévoûment filial l’avait à jamais perdu dans l’esprit ombrageux de son père. Quelques fermens d’une animosité irréconciliable subsistèrent toujours entre eux malgré le continuel travail de réparation et d’apaisement où s’épuisa la vie de la princesse qui fut la reine Caroline[1]. De toutes les qualités requises pour le difficile métier de roi, George-Auguste, qui fut George II, et que les tories avaient surnommé le Capitaine, n’eut jamais qu’un certain esprit de justice et beaucoup de

  1. Ce dernier nom a remplacé dans l’histoire celui de Charlotte.