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ou six minutes, n’est-ce pas tout un en pareil cas, et l’irréparable se calcule-t-il ?

Immédiatement après le décès de la reine, devant le conseil réuni de nouveau, parut le résident hanovrien, M. Kreyenberg, porteur d’un acte authentique, écrit et signé par l’électeur, lequel nommait, suivant les clauses de l’acte de régence, les sept grands-officiers de la couronne et les personnes qui, jusqu’à l’arrivée du nouveau roi, devaient remplir les fonctions de lords-justiciers. Cette liste contenait les noms de dix-huit membres de la pairie, tous appartenant au parti whig et entre autres celui du lord-chancelier Cowper. Ni Marlborough, ni Sunderland, ni Somers, ne faisaient cependant partie de cette haute commission. Le premier, après un exil volontaire déterminé par les sourdes persécutions du ministère tory, venait justement de débarquer à Douvres. Son entrée à Londres fut une sorte de triomphe ; mais ce témoignage de la faveur publique ne le consola pas de l’affront qui lui était infligé. Il s’éloigna aussitôt après avoir prêté serment. Bolingbroke, défait et humilié, continuait sa gestion ministérielle, et, le portefeuille sous le bras, attendait, comme le premier solliciteur venu, à la porte de cette chambre du conseil où quelques jours plus tôt il s’était vu primant les plus hautes têtes du pays. Peut-être alors regrettait-il d’être resté sourd aux téméraires incitations de l’audacieux Atterbury, cet évêque de Rochester qui lui proposait, dit-on, le 30 mars, d’aller en surplis à Charing-Cross proclamer Jacques Stuart. Maintenant rien de pareil n’était plus à risquer, car la machine gouvernementale fonctionnait sans encombre. L’Irlande, où on redoutait une insurrection catholique, avait accepté sans le moindre trouble la proclamation du nouveau souverain. L’Ecosse ne s’était pas montrée moins docile, moins résignée au fait accompli ; le parlement, tenant séance le jour même où la reine était morte, n’avait pas même voulu, dans un moment aussi critique, attendre pour délibérer le retour de son speaker absent. Pairs et commoners votaient à l’envi les adresses requises et le renouvellement des taxes qui se trouvaient éteintes par la mort du souverain. Les tories enfin, à mauvais jeu faisant bonne mine, et semant d’avance, pour ainsi dire, leurs futurs griefs, offraient d’augmenter considérablement la liste civile, — stratagème habile que déjouèrent les whigs.

Pendant que tout se déclarait ainsi en sa faveur, l’électeur George-Louis, dans son château d’IIerrenhausen, où la grande nouvelle lui était parvenue le 5 août, semblait ne pas pouvoir se résigner aux grandeurs dont il allait être investi. Sans s’inquiéter autrement des instances qui lui arrivaient de tous côtés, sans tenir compte des dangers que le moindre délai pouvait faire naître, ce petit prince