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préoccupations de l’avenir nous font une loi de vouloir la colonisation sérieuse. Si l’Algérie a été jusqu’ici un fardeau pour la France, si elle appauvrit la métropole au lieu de l’enrichir, cela tient sans doute à plusieurs causes, mais surtout peut-être à celle-ci : la population européenne est insuffisante et épars sur un immense territoire. Les conséquences d’un pareil état de choses sont faciles à signaler ; l’administration devient coûteuse, les travaux publics ruineux, les frais de production excessifs. Tous ceux qui vont en Algérie s’étonnent de cet éparpillement sans pouvoir d’abord se l’expliquer. Ils ne réfléchissent pas ou ils ignorent que l’œuvre de la colonisation ne s’est pas accomplie dans les conditions ordinaires d’un développement libre et spontané. C’est l’administration qui en a pris partout l’initiative. C’est elle qui a dit au colon : — Tu te fixeras ici, tu t’arrêteras là. — Aujourd’hui, lorsque, étouffant dans le périmètre trop étroit qui lui a été assigné, il veut s’étendre et offre d’acheter aux indigènes la terre qui le limite, c’est encore elle qui paralyse son ardeur, et prononce le non longius ibis. On l’a dit maintes fois, la condition nécessaire de toute colonisation, c’est l’étendue et la qualité des terres. Elles seules provoquent l’émigration, attirent le colon sur la rive étrangère, et l’y fixent sans esprit de retour. Or les terres disponibles manquent en Algérie, maintenant plus que jamais. Avant 1863, nous pouvions en avoir en abondance ; nous y avons renoncé volontairement. La grave détermination que prit alors le gouvernement français a été approuvée par quelques-uns, énergiquement blâmée par les autres. Nous allons étudier à notre tour les dispositions du sénatus-consulte du 22 avril. Il nous paraît dominer toute la question.

Le gouvernement impérial, qui n’a pas de paroles assez dures pour les révolutionnaires, ne déteste pas les révolutions, si l’on doit entendre par ce mot les surprises dans les choses les plus graves, les modifications radicales touchant aux intérêts les plus sérieux et s’imposant tout d’un coup comme un fait accompli. Avant la fameuse lettre au maréchal Pélissier, qui devait servir de préface au sénatus-consulte sur la propriété arabe, on pensait en Algérie à bien autre chose qu’à rendre les indigènes propriétaires définitifs des immenses terrains que leur inertie laissait incultes. On songeait à les soumettre au cantonnement, c’est-à-dire à leur donner, en échange d’un droit d’usage incertain et variable, un véritable droit de propriété, sauf à en restreindre l’objet. Par là, un nombre considérable de terres se fût trouvé libre et à la disposition des colons. Il va sans dire qu’il entrait dans les vues de tous ceux qui proposaient cette combinaison d’assurer largement les besoins des indigènes. Ainsi entendu, le principe du cantonnement n’avait rien de contraire à l’humanité, rien qui blessât la justice, et ce pouvait être une