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Il est hors de doute que l’Algérie était autrement cultivée du temps où ses blés nourrissaient Rome et où elle méritait le nom de grenier de l’Italie. Avec l’invasion musulmane, le cours de la civilisation a rétrogradé. La culture arabe est des plus primitives ; elle écorche seulement la surface sans tirer parti de la profondeur. On peut la juger d’ailleurs par ses résultats. A part les années très pluvieuses, elle ne donne en moyenne que 6 ou 7 hectolitres de blé par hectare ; les cultures européennes en donnent le triple. Malgré ce faible rendement, la terre cultivée par l’Arabe s’épuise vite : aussi fait-il beaucoup de jachères et se voit-il obligé quelquefois de laisser reposer son champ deux années de suite. On a peine à croire qu’il ignore encore l’art de couper le fourrage et de le faire sécher pour les besoins de l’hiver, qu’il n’élève aucun abri pour protéger ses bestiaux contre l’intempérie des saisons, qu’il n’a pas songé à nous emprunter l’usage des voitures pour transporter les produits du sol. Quand le génie militaire a tracé ces longues routes, trop peu nombreuses encore, qui sillonnent l’Algérie, il a certainement donné aux colons un élément indispensable de prospérité ; mais il n’a rendu aux indigènes qu’un faible service. Aujourd’hui comme au temps du prophète, ils n’ont d’autre mode de transport que leurs ânes, leurs mulets et leurs chameaux. Pourtant l’indigène franchit les plus grandes distances pour vendre à la ville ses grains, ses fruits et même ses légumes. Chose singulière, sur les marchés du littoral, le prix de toutes ces denrées n’est guère plus élevé que dans le pays souvent très éloigné qui les produit. L’Arabe compte pour rien son temps, sa peine et le concours de ses bêtes de somme.

Si arriérés que nous semblent ces usages, si primitives que nous paraissent ces habitudes, la civilisation européenne finirait par en avoir raison, si ses efforts et ses exemples ne venaient toujours se heurter contre l’état social des Arabes. Cet état, on peut le définir en deux mots : c’est le communisme enté sur la division des classes. Chez eux, point de propriété individuelle. Les terres arch sont soumises à l’indivision dans la tribu, les terres melk à l’indivision dans la famille, et la famille arabe, c’est la famille patriarcale, c’est un arbre séculaire dont on ne peut compter les rameaux. Le douar, unité administrative comme chez nous la commune, est formé de la réunion de plusieurs familles, et la réunion de plusieurs douars constitue la tribu ; la circonscription du douar compte des terres de parcours d’un usage absolument commun, et des terres de culture qui sont réparties annuellement par le caïd assisté de la djemaa[1].

  1. La djemaa est une assemblée des principaux notables de la tribu. Elle assiste le chef pour la répartition des terres et des impôts.