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bureaux arabes, qui ont jusqu’ici fait œuvre de suzeraineté plutôt que de véritable administration.

Au début, pendant la période de la conquête, ce respect du passé, ce maintien des institutions indigènes, ont pu être une excellente mesure. C’est en combattant les peuples barbares avec leurs propres armes qu’on les soumet le plus promptement, c’est en respectant leurs mœurs qu’on les retient le plus facilement sous le joug. En agissant ainsi, les Turcs ont atteint leur but, qui était non de civiliser les Arabes, mais de les retenir sous leur domination et d’en obtenir tribut. La conquête française s’est proposé une fin toute différente. Aussi, quand notre autorité fut acceptée des indigènes avec cette résignation profonde qu’ils puisent dans les traditions de leur race comme dans les enseignemens du Coran, quand l’établissement d’une nombreuse population européenne nous révéla des besoins incompatibles avec la constitution sociale des Arabes, il fallait nous résoudre à briser celle-ci résolument. Du même coup nous rendions un service signalé à la cause de la civilisation, et nous permettions à notre colonie de marcher d’un pas sûr dans la voie du progrès.

Il appartenait au régime impérial d’accomplir cette tâche. Les gouvernemens antérieurs n’en ont pas eu le temps. On sait que l’œuvre de la conquête a rempli tout le règne du roi Louis-Philippe. Pour la république de 1848, elle a trouvé devant elle des problèmes plus impérieux ; d’ailleurs on lui a fait la vie trop courte. Au contraire le gouvernement actuel s’est trouvé dans les conditions les plus favorables pour réaliser un programme que lui-même en 1852 formulait dans ces termes pleins de promesses : « nous avons en face de Marseille un vaste royaume à assimiler à la France. » La situation de l’Europe lui permettait de fixer ses regards sur l’Algérie. Il avait sous la main d’admirables instrumens, une nombreuse et excellente armée, les ressources d’un crédit inconnu jusqu’alors, des finances qu’un parlement docile, chargé de lui mesurer la dépense, voulait bien qualifier d’inépuisables ; enfin il disposait de tous ces avantages du pouvoir absolu qui seraient incomparables pour accomplir de grandes choses, s’ils n’étaient pleins de périls pour une nation. Il ne lui a manqué qu’une politique.

L’Algérie et ses habitans commencent à être assez bien connus en France. On sait que, lorsqu’on parle des indigènes, il faut se garder de confondre deux peuples différens, tantôt mêlés l’un à l’autre et composant en quelque sorte une population mixte, tantôt profondément distincts et ayant gardé avec une pureté remarquable leur caractère originel. Ces deux peuples, ce sont les Arabes et les Kabyles. Les Kabyles forment le groupe principal da cette race berbère que l’histoire nous montre établie depuis un temps immémorial sur les côtes septentrionales de l’Afrique. Les Arabes représentent